Longtemps réservée aux grosses entreprises, la dématérialisation de la facture est aujourd’hui une réalité également pour les PME. Deux objectifs peuvent être distingués :
-
La dématérialisation simple de la facture : la facture est numérisée pour l’utilisation interne de l’entreprise (besoins comptables, marketing, etc.). Les informations de la facture sont disponibles sous forme électronique mais la « facture-papier » reste nécessaire d’un point de vue fiscal.
-
La dématérialisation fiscale de la facture : poursuivre un tel objectif, c’est entendre passer dans un cycle sans papier : l’instrument utilisé pour facturer les clients sera uniquement un cadre électronique.
Attention : il arrive que des entreprises fassent de la dématérialisation simple en pensant faussement faire des factures au sens du Code Général des Impôts (CGI). Or, les conditions posées pour émettre des factures valides sous un format électronique à l’égard de l’administration fiscale sont très précises.
1. LA TRANSMISSION ÉLECTRONIQUE DE LA FACTURE
La transmission électronique des factures constitue un échange de données informatisé (EDI1). L’EDI se définit comme tout échange de données informatisé, que ces données soient structurées ou non, que la structure suivie soit normalisée ou non, qu’il réponde aux conditions de la dématérialisation fiscale de la facture ou non.
Le CGI prévoit deux types d’EDI pouvant donner lieu à une dématérialisation fiscale de la facture.
1.1 – Le mécanisme de l’article 289 bis du CGI : l’EDI classique
Ce type de transmission existe depuis près de 20 ans2. Il est couramment désigné sous le simple nom d’EDI, mais vise plus particulièrement l’EDI structuré et normalisé.
Un message structuré comprend des champs prédéfinis qui permettent un traitement automatisé. La structure de ces messages suit une norme qui est spécifiée par les parties dans une convention d’interchange. La norme la plus couramment utilisée est la norme EDIFACT3.
Ce mécanisme est défini par l’article 289 bis-I du CGI : « les factures transmises par voie électronique qui se présentent sous la forme d’un message structuré selon une norme convenue entre les parties, permettant une lecture par ordinateur et pouvant être traité automatiquement et de manière univoque, constituent […] des documents tenant lieu de factures d’origine », c’est-à-dire ayant valeur fiscale.
L’article 289 bis-II du CGI précise la nécessité de recourir dans ce mécanisme « à un système de télétransmission répondant à des normes équivalentes à celles définies à l’article 2 de la recommandation 1994/820/CE de la Commission du 19 octobre 1994, concernant les aspects juridiques de l’échange de données informatisées lorsque l’accord relatif à cet échange prévoit l’utilisation de procédures garantissant l’authenticité de l’origine et de l’intégrité des données. »
L’article 289 bis du CGI précise également qu’un risque juridique pèse toujours sur l’assujetti, même si la facture est émise par le client ou par un tiers : « l’entreprise doit s’assurer que les informations émises en application du I, par elle-même, ou par un tiers ou client mandaté à cet effet, sont accessibles et conservées dans leur contenu originel et dans l’ordre chronologique de leur émission ». Le client est néanmoins tenu aux mêmes obligations. Une procédure de contrôle du système de télétransmission par l’administration fiscale est également dans ce même article.
L’utilisation de ce mécanisme, classique, admis, fonctionnel et parfaitement mûr, ne pose pas d’interrogation juridique, et ne suscite pas de contentieux. Cependant, l’ampleur des investissements nécessaires le réserve aux très grosses entreprises.
1.2 – Le mécanisme de l’article 289-V du CGI : l’EDI de factures à la portée de tous
L’article 289-V du CGI4 introduit la possibilité d’une dématérialisation fiscale de la facture dans d’autres conditions : « Les factures peuvent, sous réserve de l’acceptation du destinataire, être transmises par voie électronique dès lors que l’authenticité de leur origine et l’intégrité de leur contenu sont garanties au moyen d’une signature électronique. Les factures ainsi transmises tiennent lieu de facture d’origine pour l’application de l’article 286 et du présent article.»
Les factures électroniques transmises dans ces conditions ont donc valeur fiscale. Cette procédure peut s’appliquer à des fichiers non structurés (notamment de type Word ou PDF), ce qui n’était pas possible avec l’EDI classique.
Mais cette nouvelle procédure peut également concerner des fichiers structurés (notamment en EbXML), dans des conditions bien moins coûteuses et contraignantes que celles de l’article 289 bis (EDI classique). L’article 289 V permet ainsi d’ouvrir la facture électronique à de petites structures, notamment aux PME.
Le recours à la signature électronique a pu poser en pratique des problèmes. De nombreuses entreprises ont gelé leurs projets à cause des difficultés juridiques posées par la signature électronique. Celles-ci sont néanmoins surmontées aujourd’hui. Le doute a pu planer sur la nécessité d’une signature éléctronique dite « avancée »5 c’est-à-dire relevant du régime de la directive de décembre 1999 sur la signature électronique, transposée en droit français par la loi du 13 mars 2000. Mais il est désormais certain qu’en droit fiscal français une signature électronique dite « simple » est suffisante.
Le CGI contient des dispositions particulières (Art. 96F CGIAN3) quant à la signature électronique devant être utilisée : un procédé de cryptographie asymétrique est possible, propre au signataire, identifiant le signataire, créé par des moyens placés sous le contrôle exclusif du signataire, reposant sur un certificat délivré par un prestataire de services de certification (PSC).
La signature de la facture dématérialisée n’est pas une mention obligatoire supplémentaire à la validité de la facture. Elle n’a bien évidemment pas pour fonction d’exprimer le consentement du signataire. Elle poursuit l’objectif d’assurer l’authentification du signataire et l’intégrité des données et se rajoute à la facture. C’est pourquoi l’administration fiscale a précisé que la signature pouvait émaner d’une personne morale (et non d’une personne physique agissant pour le compte de l’entreprise). Il est également possible de signer un lot de factures (et non pas chaque facture) si l’ensemble de ces factures se rapporte à un même destinataire.
On a pu se demander si le prestataire devait utiliser sa signature électronique ou celle de son mandant. Si le signataire donne sa clé privée, la signature est invalide (du fait de l’exigence du contrôle exclusif6). C’est donc le prestataire qui, en sa qualité de mandataire, devra signer. Il s’agit de pouvoir authentifier la facture, la figer, et l’horodater.
Le certificat utilisé doit contenir un minimum d’informations obligatoires. Le certificat électronique mentionne les données de vérification de la signature électronique. Il est nécessairement transmis avec la signature électronique. Quand le prestataire technique émet les factures pour le compte de l’émetteur, il est tenu d’utiliser son propre certificat.
2. LA CONSERVATION ÉLECTRONIQUE DE LA FACTURE
2.1. – L’archivage des factures transmises par voie électronique
Pour la dématérialisation fiscale de la facture, le processus en amont est aussi important qu’en aval, et il faut prendre en compte toute la partie archivage et conservation. Les factures transmises par voie électronique doivent être conservées dans leur format original pendant le délai de reprise (année en cours et trois années précédentes) sur support informatique, puis pendant trois ans sur un support au choix de l’entreprise.
L’impression sur papier ne constitue bien évidemment pas une facture d’origine. Rappelons qu’en raison de la prescription du droit commercial (article L. 110-4 du Code de commerce), les entreprises ont l’obligation de conserver leurs factures pendant un délai de dix ans. Le non-respect de l’article L. 441-3 du Code de commerce relatif à la facture constitue un délit pénal, prescrit par 3 ans.
Attention : en cas de défaillance de l’archivage, c’est l’ensemble de la dématérialisation des factures qui est susceptible d’être remis en cause par l’administration fiscale. La réglementation impose pour l’archivage une distinction stricte entre les différents clients des prestataires techniques (indépendance des factures par assujetti, client du prestataire), afin de garantir l’indépendance des données entre émetteurs (et éventuellement les récepteurs).
Le lieu de stockage peut être en France ou dans un État ayant passé une convention d’assistance mutuelle en matière fiscale7. À noter que seuls les États membres de l’U.E. ont signé une telle convention.
Il n’y a pas de réglementation générale sur l’archivage. Il existe néanmoins des normes concernant l’archivage électronique8. La réglementation est spécifique pour les factures dématérialisées fiscalement, qui supposent une garantie d’intégrité et de restitution des données. Il existe un ensemble de règles énoncées par le CGI pour la conservation et l’archivage des factures dématérialisées, d’une part pour le mode de l’article 289 (art. 96 F ann. III CGI), d’autre part pour le mode de l’article 289 bis (art. 41 septies ann. IV CGI). Ces règles ne sont pas exhaustives mais sont impératives. A cet égard, les recommandations de l’ANSSI relatives à l’archivage numérique sécurisé peuvent être prises en compte9.
2.2 – L’archivage électronique des factures transmises sur papier
Deux cas sont à distinguer en ce qui concerne les factures transmises sur papier :
-
Les factures purement matérielles : c’est le cas des factures traditionnelles manuscrites, émises en double original et transmises sous format papier. La dématérialisation de ces factures, par numérisation des papiers ou par saisie des informations, si elle peut présenter un intérêt interne à l’entreprise, n’aura pas d’intérêt fiscal, et le papier devra toujours être archivé.
- Les factures éditées et émises sous forme électronique puis imprimées pour être transmises : cette hypothèse se rencontre de plus en plus fréquemment, les entreprises éditant souvent leurs factures à l’aide d’un logiciel de facturation, ou d’un simple logiciel de traitement de textes. Il était avant nécessaire, pour être en règle vis-à-vis de l’administration fiscale, d’imprimer ces dernières en double exemplaire et de conserver un exemplaire imprimé. Une instruction fiscale du 11 janvier 200710 permet, à certaines conditions, l’archivage électronique de ces factures, sans obligation de conserver un exemplaire imprimé.
L’instruction fiscale « précise les conditions dans lesquelles les entreprises qui créent et conservent, sous forme électronique, des factures qu’elles transmettent à leurs clients sur support papier peuvent être dispensées de l’obligation de conserver sous forme papier le double des factures ainsi transmises ». Si la possibilité de conserver un double sur support papier est toujours ouverte, une autre option est offerte. Les entreprises ont le droit de se contenter de conserver un double électronique de la facture, dès lors qu’un dispositif technique permet de « garantir l’authenticité, l’intégrité et la pérennité du contenu du double électronique depuis l’émission de l’original papier jusqu’à l’expiration de la période de stockage du double. »
Ces conditions peuvent être remplies de deux manières. D’une part, à l’aide de procédés électroniques logiques, tels que la signature électronique dans les mêmes conditions que pour le mécanisme de l’article 289 V. D’autre part, en conservant le fichier sur un support physique non réinscriptible, que ce support soit physiquement non réinscriptible (WORM11 physique), ou protégé en modification par des procédés logiciels (WORM logique). Dans ce cadre, le recours à un prestataire de coffre-fort électronique devient possible.
- Accéder au quiz : Révisez vos connaissances sur la facturation
1. L’expression est une adaptation française de l’anglais Electronic Data Interchange.
2. L’article 289 bis du Code Général des Impôts organise en effet depuis 1990 la possibilité d’échanger des factures dématérialisées par EDI.
3. Pour Electronic Data Interchange For Administration, Commerce and Transport. La syntaxe EDIFACT, recommandation des Nations Unies, a été reprise par l’ISO en tant qu’ISO 9735.
4. L’instruction 3 C.A. 136 du 7 août 2003 précise les modalités d’application de ces nouvelles règles.
5. La rédaction de la directive « Harmonisation TVA » semblait notamment aller dans ce sens. Cependant, le projet de directive en cours revient sur cette exigence.
6. Exigence posée au b 3° de l’article 96 F de l’annexe III du CGI.
7. V° art. L. 102 C du Livre des procédures fiscales.
8. Par exemple la norme AFNOR NF Z 42013.
9.http://www.ssi.gouv.fr/site_article48.html.
10. Instr. fisc., 11 janv. 2007 : BOI 3 E-1-O7.
11. WORM pour Write Once Read Many – Écriture unique Lecture multiple.