Le droit des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) est une matière qui évolue très rapidement. Le Cabinet Feral-Schuhl / Sainte-Marie fait régulièrement le point sur les nouveautés législatives et jurisprudentielles dans ce domaine. Sa dernière « Lettre des Technologies de l’Information » présente l’essentiel de la jurisprudence sur les contrats informatiques pour la période 2009-2010. Quelques extraits de cette lettre sont reproduits ci-dessous.
Echec du projet de mise en œuvre d’un ERP et indemnisation
Une société avait conclu avec un prestataire un contrat d’intégration d’une solution de type ERP prévoyant un délai de mise en production de trois mois. Après plusieurs décalages de la date de livraison, la solution n’a toujours pas été livrée de manière complète et satisfaisante plus d’un an après le début du projet. Le client a alors résilié le contrat et intenté une action judiciaire à l’encontre du prestataire en vue de faire indemniser son préjudice. Le Tribunal de commerce de Paris saisi du litige a retenu que le prestataire avait « failli à son engagement contractuel de résultat, en n’ayant procédé à aucune livraison contractuellement acceptable de fournitures et prestations après le dépassement de 10 à 12 mois du délai contractuel engageant ». Le Tribunal de commerce a ainsi considéré l’inexécution du prestataire comme fautive et ouvrant droit à dommages et intérêts.
Pour évaluer le préjudice subi par la société, le Tribunal a examiné chaque poste de préjudice allégué et notamment le temps passé par les équipes du client en pure perte sur ce projet. Classiquement, le prestataire contestait ce préjudice considérant que les charges salariales relatives à ces personnels n’avaient pas augmenté pendant la période du projet et que le client ne démontrait pas quelles autres tâches ils n’auraient pas été en mesure de remplir du fait de leur suivi de projet. Le Tribunal a rejeté l’argument, considérant que le fait que le projet n’ait pas abouti impliquait que le client avait subi « non seulement la mobilisation de ses équipes (…) en pure perte, mais en outre la nécessaire mobilisation de ses personnels pour trouver une alternative après la résiliation du contrat ».
S’agissant du préjudice lié à la désorganisation du service de contrôle de gestion du client et de leur surcharge correspondante, le Tribunal a également admis que « le travail en mode dégradé peut effectivement avoir entraîné le recrutement pour une durée limitée de contrôleurs de gestion supplémentaires ». C’est ainsi un préjudice de près de 230 000 euros qui est retenu par le Tribunal de commerce de Paris, étant précisé que le prestataire avait d’ores et déjà remboursé au client l’intégralité des factures déjà acquittées par ce dernier (environ 150 000 euros).
T.com Paris, 3e ch., 2 juin 2009, Exposium c/ Axe Sélection
Résolution d’un contrat de vente d’équipements informatiques et remboursement du prix
Une société avait commandé des équipements informatiques et financé cette opération auprès d’une société tierce par la conclusion d’un contrat de location financière. Compte tenu de dysfonctionnements de l’installation informatique, le client a assigné le fournisseur du matériel ainsi que le bailleur. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a prononcé la résolution du contrat de fourniture ainsi que la résiliation du contrat de location financière et a ordonné au client de restituer au bailleur les matériels donnés en location. La Cour d’appel a par ailleurs précisé que le bailleur ne pouvait demander au fournisseur le remboursement du prix d’acquisition du matériel au motif qu’il en avait obtenu la restitution et qu’il n’offrait pas lui-même de le lui restituer. Sur ce dernier point, la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait violé l’article 1184 du Code civil. La Cour rappelle à cet égard que « la résolution du contrat de vente entraîne l’obligation de restituer, pour le vendeur, le prix perçu et pour l’acquéreur, la chose vendue, peu important que cette restitution ne soit pas proposée ».
La Cour d’appel avait également retenu que le client n’était pas fondé à demander à être garanti par le fournisseur du paiement des loyers dus en application du contrat de location financière du fait de la conservation des biens qu’il aurait dû restituer. La première chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt en considérant, « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le fournisseur, redevenu au demeurant propriétaire des biens en cause par l’effet de la résolution du contrat de fourniture, dont elle avait retenu que le comportement fautif était à l’origine de cette résolution et à laquelle la SCP avait indiqué qu’elle tenait le matériel à sa disposition, n’avait pas manqué à ses obligations en s’abstenant de toute démarche à cet égard ».
Cass. Civ.1e, 25 février 2010, SCP c/ SFI et SIBM
Indivisibilité d’un contrat de télé-sauvegarde et d’un contrat de location financière
Une société avait confié à un prestataire la sauvegarde à distance de ses fichiers informatiques. Un contrat de « télé-sauvegarde » et un contrat de location financière de matériel informatique ont été conclus. Moins de trois mois après l’installation des matériels, le client a constaté la survenance de problèmes importants sur les sauvegardes à distance notamment sur la non-finalisation des sauvegardes journalières. Le client a notifié au prestataire sa décision de résilier les contrats de prestation de service et a cessé de payer les mensualités. Le bailleur a assigné le client en résiliation du contrat de location, en paiement des redevances impayées et en restitution du matériel. La Cour d’appel, se fondant sur l’article 1218 du Code civil, a jugé que ces contrats ne pouvaient être regardés comme indivisibles, le client n’ayant pas invoqué « une absence d’intérêt du contrat de location sans le contrat de sauvegarde ».
Suite au pourvoi formé par le client, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au motif qu’ « en se déterminant par ce motif inopérant, sans rechercher, ainsi qu’il lui était demandé, si la circonstance que les contrats de location et les contrats de prestation de services, conclus le même jour pour une même durée et prévoyant que le client réglerait au prestataire une redevance comprenant le coût de la location, ne révélait pas la commune intention des parties de rendre leurs accords indivisibles ».
Cass. Civ.1e, 14 janvier 2010, Société B2S c/ Société Adhersis
Condamnation d’une société pour rupture brutale de relations commerciales établies
Une société s’était rapprochée de spécialistes de la téléphonie mobile en vue de développer une nouvelle architecture logicielle devant aboutir à l’utilisation de la téléphonie mobile sur des avions commerciaux, via des liaisons satellites. Un contrat de non-divulgation avait ainsi été conclu pour une durée de deux ans. Suite à l’acceptation par le client de l’offre commerciale du prestataire, les parties avaient matérialisé leur accord en vue de la conclusion d’un futur contrat de commercialisation de la solution. Diverses commandes sont alors intervenues, portant notamment sur des études. Un an et demi plus tard, le client a lancé un appel d’offres auprès de prestataires d’intégration de téléphonie embarquée et a envoyé une lettre au prestataire initial lui indiquant qu’après étude approfondie des offres reçues suite au lancement de cet appel d’offres, il n’avait pas été retenu dans le cadre du projet.
Le prestataire a alors mis en demeure le client de lui verser l’avance de 800 000 euros prévue dans le cadre de leur accord, dans l’attente du “minimum garanti” de 4 millions d’euros et d’une indemnisation du gain manqué sur la phase de commercialisation. Le client a refusé l’indemnisation du prestataire, considérant que leur accord avait pour objet de dresser un cadre contractuel dans l’hypothèse où le prestataire aurait été sélectionné pour la phase industrielle du projet mais ce dernier n’ayant pas été retenu, l’accord avait perdu son objet et n’était pas applicable. La Cour d’appel de Toulouse a confirmé le jugement du Tribunal de commerce qui a condamné le client à indemniser son ancien partenaire après avoir constaté « la rupture brutale et injustifiée des relations commerciales établies ».
Le montant de l’indemnisation a été établi par la Cour d’appel en tenant compte de la durée du préavis qui aurait dû être accordé et des conséquences dommageables résultant de l’absence de préavis, en gain manqué et pertes prouvées. Les juges ont notamment relevé que les pertes subies du fait de la brutalité de la rupture étaient très importantes, le prestataire ne pouvant en pratique travailler que pour le client, « rendant sa reconversion très difficile ». La Cour d’appel a également considéré que la durée du préavis qui aurait dû être accordé au prestataire « ne saurait être estimée à moins de deux ans, en fonction de la durée des relations commerciales (trois ans) et de la gravité pour le prestataire des conséquences de la brusque rupture à raison d’un marché captif, circonstances dont le client avait parfaitement conscience ».
CA Toulouse, 2e ch, 16 septembre 2009, Airbus France c/ Icarelink
CLOUD COMPUTING : y voir plus clair dans la nébulosité juridique
Pour l’entreprise, le cloud computing est la seconde révolution de la dématérialisation. La première fut le passage de l’écrit papier à l’écrit électronique : l’information a perdu son support de conservation pérenne, simple. Ses conséquences sont encore largement incontrôlées. La seconde révolution de la dématérialisation est la virtualisation du support de la donnée électronique : l’environnement matériel. C’est ce que promet le cloud computing : une totale souplesse dans son infrastructure en contrepartie d’une « évaporation » de ses données dans le nuage. Ce sont les deux versants du défi juridique auquel les entreprises souhaitant recourir au cloud computing doivent se préparer : garantir la tenue des promesses en matière de flexibilité et gérer la perte de contrôle sur leurs données.