Par Maître Sabrina La Marra, Avocat à la Cour
Le contrat « nouvelles embauches » (CNE) est une nouvelle catégorie de contrat à durée indéterminée institué par l’ordonnance n°2005-893 du 2 août 2005. Ce nouveau contrat a été introduit pour développer l’emploi dans les petites entreprises, réticentes à embaucher sous CDI par peur d’avoir ensuite des difficultés à se séparer de leurs employés en cas de baisse d’activité ou de dégradation de leur situation financière.
Le CNE peut être conclu depuis le 4 août 2005. Il est soumis à toutes les prescriptions du Code du travail. Toutefois, il obéit pendant les deux premières années à des règles de rupture aménagées.
Sommaire :
1. Les employeurs visés
2. Salariés concernés
3. Motif du recours
4. Conditions d’utilisation
5. La forme et la durée du CNE
6. Le statut du salarié
7. La période d’essai
8. Les conditions de la rupture
9. Pouvoir disciplinaire de l’employeur
10. Indemnités
11. Les garanties spécifiques offertes au salarié
1. Les employeurs visés
La possibilité de conclure un contrat » nouvelles embauches » est ouverte, pour toute nouvelle embauche, aux entreprises du secteur privé employant au plus vingt salariés.
Sont donc exclus de ce dispositif, les particuliers employeurs et les employeurs du secteur public.
Le seuil de vingt salariés s’apprécie lors de l’embauche.
Les règles de décompte sont les suivantes :
- les salariés en CDI à temps plein et les travailleurs à domicile sont comptabilisés pour une unité ;
- les salariés en CDI à temps partiel sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leur contrat de travail par la durée légale ou conventionnelle du travail ;
- les salariés en CDD, les titulaires de contrat de travail intermittent, les travailleurs mis à disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure y compris les travailleurs temporaires sont pris en compte au prorata de leur temps de présence au cours des douze derniers mois.
En outre, les salariés embauchés à compter du 22 juin 2005 et âgés de moins de vingt-six ans ne sont pas pris en compte pour la détermination du seuil de vingt salariés.
2. Salariés concernés
Le CNE peut être conclu avec tout type de salarié, à l’exception des salariés employés par des particuliers (employés de maison, assistantes maternelles…).
3. Motif du recours
Contrairement au CDD, l’employeur n’a pas à justifier d’un motif particulier pour embaucher un salarié en CNE.
Toutefois, le CNE ne peut être utilisé pour pourvoir un emploi à caractère saisonnier ou un emploi dans un secteur où il est d’usage de ne pas recourir au CDI. Dans ces hypothèses, il convient de recourir au CDD.
Enfin, un CNE ne peut être conclu qu’en cas de nouvelle embauche, ce qui conditionne l’utilisation de ce contrat.
4. Conditions d’utilisation
Comme le CDI, le CNE peut prendre le relais d’un CDD ou d’un contrat de travail temporaire lorsque ces contrats arrivent à leur terme.
Dans cette hypothèse, la durée du CDD ou de la mission d’intérim ne s’impute pas sur la durée du CNE. En revanche, cette durée est prise en compte pour tous les autres droits liés à l’ancienneté.
Toutefois, un employeur ne peut ni rompre, ni modifier un CDD ou un contrat de travail temporaire, pour conclure un CNE avec le même salarié.
En revanche, il semble qu’un salarié pourra user de la faculté de rompre un CDD pour conclure un CNE. En effet, l’article L. 122-3-8 alinéa 2 du Code du travail prévoit qu’un contrat à durée déterminée peut être rompu à l’initiative du salarié lorsque celui-ci justifie d’une embauche pour une durée indéterminée. Or, le CNE est un contrat à durée indéterminée. Dès lors, un salarié est libre de rompre son contrat à durée déterminée pour conclure un CNE.
La transformation d’un CDI » classique » en contrat » nouvelles embauches » est impossible. En revanche, il semble possible de transformer un CNE en CDI » classique « .
En cas de rupture d’un CNE à l’initiative de l’employeur au cours des deux premières années, il ne peut être conclu un nouveau CNE avec le même salarié avant que ne se soit écoulé un délai de carence de trois mois à compter de la rupture du précédent contrat. La violation de ce délai de carence conduira probablement à la requalification du contrat de travail en CDI » classique « .
En revanche, aucun délai de carence n’est à respecter entre la rupture d’un CNE et l’embauche d’un autre salarié en CNE.
Rien n’interdit à une entreprise ne dépassant pas le seuil de vingt salariés d’embaucher plusieurs personnes en CNE.
5. La forme et la durée du CNE
Le CNE doit être conclu sans limitation de durée et doit obligatoirement faire l’objet d’un écrit. l’ordonnance n’impose aucune clause obligatoire.
Aucune sanction n’est prévue en l’absence d’écrit mais, dans ce cas, le contrat pourrait vraisemblablement être requalifié en CDI de droit commun.
En conséquence, il est fortement conseillé de faire signer un contrat écrit au salarié, au plus tard le jour de l’embauche.
Pour éviter les risques de requalification, il est également recommandé d’indiquer expressément qu’il s’agit d’un contrat » nouvelles embauches » pris en application de l’ordonnance du 2 août 2005.
Outre cette précision essentielle et pour éviter toute contestation ultérieure, il est vivement recommandé de rédiger une clause particulière » rupture du contrat de travail » qui devra indiquer :
- les conditions dans lesquelles le contrat pourra être rompu pendant les deux premières années à compter de sa conclusion ;
- que, pendant les deux premières années de sa conclusion, le contrat n’est pas soumis aux dispositions des articles L. 122-4 à L.122-11, L.122-13 à L.122-14-14 et L.321-1 à L.321-17 du Code du travail ;
- qu’à l’issue de ces deux premières années, la rupture du contrat par l’une ou l’autre des parties obéira à nouveau à l’ensemble des règles prévues par le Code du travail ou par les dispositions plus favorables de la convention collective applicable à l’entreprise.
Si le salarié est embauché à temps partiel, le contrat devra en outre comporter les mentions obligatoires prévues par la loi pour ce type de contrat.
6. Le statut du salarié
Le titulaire d’un CNE est un salarié à part entière : il bénéficie donc des dispositions relatives au SMIC, aux congés (congés payés, congés pour événements familiaux,…), à la durée du travail et aux heures supplémentaires… Il bénéficie également des dispositions de la convention collective éventuellement applicable dans son entreprise.
Seules ne sont pas applicables, pendant les deux premières années qui suivent la conclusion du CNE, les dispositions relatives au licenciement ou à la démission (la rupture du CNE pendant cette période obéissant à des règles particulières) ainsi que les dispositions relatives à la période d’essai.
7. La période d’essai
Les dispositions conventionnelles relatives à la période d’essai s’appliquent uniquement aux CDI de droit commun.
Se pose alors la question de savoir s’il est possible de faire figurer une période d’essai dans un CNE.
Le CNE est souvent présenté comme un contrat de travail assorti d’une période d’essai de deux ans. Or, si la rupture du CNE est facilitée pendant les deux premières années, cette période n’est pas pour autant une période d’essai.
Dès lors que l’ordonnance n’interdit pas l’insertion d’une période d’essai dans le CNE, l’employeur a tout intérêt à en prévoir une. En effet, si cette période d’essai n’est pas satisfaisante, l’employeur pourra mettre fin au CNE sans préavis, ni indemnité.
La période d’essai devra être d’une durée raisonnable. L’employeur pourra reprendre les durées prévues par la convention collective applicable à son entreprise ou par la loi.
8. Les conditions de la rupture
La principale caractéristique du CNE consiste à écarter les règles légales et conventionnelles de rupture du CDI pendant les deux premières années suivant sa conclusion.
A l’issue des deux premières années, le CNE est soumis aux règles de droit commun du CDI. La rupture à l’initiative de l’employeur doit respecter les règles de fond et de forme du licenciement.
Le délai de deux ans se décompte à partir de la date de conclusion du CNE, et ce même si le salarié n’a commencé à travailler que plus tard.
8.1. Rupture du CNE par l’employeur pendant les deux premières années du contrat
> Procédure
Pendant les deux premières années qui suivent sa conclusion, le CNE peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié, par lettre RAR non motivée.
Pour autant, la rupture du CNE par l’employeur ne peut avoir lieu pour un motif contraire à l’une des règles protectrices du Code du travail (mesure discriminatoire fondée sur la race, licenciement d’une femme enceinte…).
En outre, il est vraisemblable que les juges n’hésiteront pas à sanctionner les employeurs qui rompront le CNE dans des conditions vexatoires ou brutales. Le salarié concerné pourra alors prétendre à des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Sur un plan formel, la lettre de rupture devra mentionner les droits acquis par le salarié au titre du droit individuel à la formation.
La lettre devra également indiquer que les contestations portant sur la rupture du CNE se prescrivent par douze mois. A défaut, ce délai ne sera pas opposable au salarié qui disposera d’un délai de trente ans pour contester la rupture de son contrat.
> Préavis
Lorsque l’employeur est à l’initiative de la rupture, et sauf faute grave ou force majeure, la présentation de la lettre recommandée fait courir, dès lors que le salarié est présent depuis au moins un mois dans l’entreprise, un préavis.
La durée de ce préavis est de :
- 2 semaines pour une durée de travail de moins de 6 mois ;
- 1 mois pour une durée de travail de plus de 6 mois et de moins de 2 ans.
Au cours du 1er mois, le contrat peut être rompu sans préavis.
8.2. Rupture du CNE par le salarié pendant les deux premières années du contrat
> Procédure
Le salarié qui souhaite rompre son CNE au cours des deux premières années de celui-ci doit en informer son employeur par lettre RAR.
> Préavis
Le salarié qui rompt le CNE n’a pas à exécuter de préavis. Le contrat prend fin immédiatement. Toutefois, l’ordonnance ne précise pas si le contrat prend fin à la date d’émission de la lettre RAR ou à la date de réception de celle-ci. Ce silence peut poser un problème si le salarié ne se présente pas entre l’envoi de sa lettre et la réception de celle-ci par son employeur.
Les parties peuvent convenir d’un délai de prévenance d’une durée raisonnable ; l’employeur peut reprendre le délai de préavis prévu par sa convention collective. Ce délai devra être mentionné dans le contrat.
Que doit faire l’employeur si le salarié résilie le contrat sans notifier la rupture par lettre recommandée avec accusé de réception, se contentant de donner une information verbale ou de ne plus se présenter à son poste ?
Dans une telle hypothèse, il est conseillé à l’employeur de mettre en demeure le salarié de lui confirmer sa résiliation par lettre recommandée avec accusé de réception ou d’expliquer son absence.
Si le salarié ne répond pas à cette lettre, l’employeur peut-il considérer que le salarié a rompu le contrat de travail sans qu’on lui reproche ensuite une rupture abusive ? Ou doit-il procéder à la rupture du CNE ? L’état actuel des textes ne permet pas de répondre à ces questions.
8.3. Exception
La procédure dérogatoire ci-dessus exposée ne s’applique pas aux salariés protégés, ni en cas de rupture pour motif disciplinaire.
9. Pouvoir disciplinaire de l’employeur
Les articles du Code du travail concernant la procédure disciplinaire s’appliquent aux CNE.
En conséquence, toute sanction infligée à un salarié titulaire d’un CNE doit être précédée d’un entretien préalable et donner lieu à une notification écrite des griefs qui lui sont reprochés.
La procédure disciplinaire doit a fortiori être respectée lorsque la sanction est un licenciement pour faute grave, excluant pour le salarié le bénéfice du préavis et de l’indemnité de fin de contrat.
10. Indemnités
> Indemnité de rupture versée au salarié
Lorsqu’il est à l’initiative de la rupture, sauf faute grave, l’employeur doit verser au salarié une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la conclusion du contrat.
Cette indemnité n’est soumise ni à l’impôt sur le revenu, ni à cotisations sociales.
> Contribution versée aux Assedic
A l’indemnité précitée versée au salarié s’ajoute une contribution de l’employeur, égale à 2 % de la rémunération brute due au salarié depuis le début du contrat.
Cette contribution est recouvrée par les Assedic ; elle est destinée à financer les actions d’accompagnement renforcé du salarié par le service public de l’emploi en vue de son retour à l’emploi.
Cette contribution n’est pas soumise à cotisations de Sécurité sociale.
11. Les garanties spécifiques offertes au salarié
Outre l’indemnité de rupture susvisée, le salarié dont le CNE est rompu au cours des deux premières années, a droit à un revenu de remplacement et à un accompagnement renforcé.
11.1 Droit à un revenu de remplacement
Le salarié recruté dans le cadre d’un CNE a droit, lorsqu’il est involontairement privé d’emploi, aux allocations versées par le régime d’assurance chômage, dans les conditions de droit commun.
Toutefois, s’il ne justifie pas de la condition d’activité préalable pour avoir droit à ces allocations (6 mois d’activité salariée au cours des 22 derniers mois) et qu’il remplit par ailleurs les autres conditions requises (perte involontaire d’emploi, aptitude au travail, recherche d’emploi sauf cas de dispense), le salarié dont le CNE est rompu bénéficie d’une allocation forfaitaire versée par l’Assedic dès lors qu’il justifie d’une période d’activité continue de 4 mois en CNE.
Cette allocation forfaitaire, versée pour une durée égale à un mois, est d’un montant journalier fixé à 16,40 euros.
11.2 Droit à un accompagnement renforcé
Le salarié en CNE dont le contrat est rompu doit bénéficier d’actions d’accompagnement renforcé mises en œuvre par le service public de l’emploi et destinées à favoriser son retour à l’emploi.
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La mise en œuvre du contrat » nouvelles embauches « , dont la validité n’a pas été remise en cause par le Conseil d’Etat, suscite encore des interrogations auxquelles l’administration n’a pas répondu.
Il convient donc d’être prudent lors de la rédaction d’un CNE et de tenter de combler, au moyen de clauses contractuelles, les lacunes de l’ordonnance du 2 août 2005.
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