Le régime de l’auto-entrepreneur, créé par la loi LME du 4 août 2008, est applicable depuis le 1er janvier 2009. François Hurel, auteur du rapport à l’origine de cette innovation et fondateur de l’Union des auto-entrepreneurs, explique ce véritable phénomène de société.
Caractérisé par l’absence de prise de risque, le nouveau régime s’adresse à des profils très variés et peut s’envisager de manière cumulative, alternative ou exclusive. Il intéresse le public des entrepreneurs classiques mais offre, avant tout, l’opportunité d’exercer une activité en toute simplicité.
Entreprise-et-droit : Quelles étaient vos ambitions à travers la création du régime de l’auto-entrepreneur ?
François Hurel : Je travaille depuis très longtemps sur le thème de l’entrepreneuriat et ai toujours constaté que les Français avaient autant l’esprit d’entreprise que n’importe quel autre peuple au monde. Mais j’ai aussi été le premier à dire qu’il fallait créer un dispositif qui permette de passer aisément de l’envie à l’acte. Pour cela, il était essentiel d’imaginer un mécanisme qui rassure. Quoi de mieux pour rassurer qu’autoriser sans pénalisation le cumul d’une nouvelle activité avec sa situation actuelle ?
Le principe recherché consistait ainsi à faciliter la création d’activité sous ses trois aspects : exclusif, cumulatif ou alternatif. Le caractère exclusif avait déjà été largement couvert par la législation depuis la loi Madelin, les deux autres ne l’étaient pas du tout.
E&D : Le régime s’adresse donc à des profils très variés. En pratique, qui sont les auto-entrepreneurs ?
F. H. : Il y a environ un tiers de salariés et un tiers de retraités. Pour le reste, les situations sont diverses : demandeurs d’emplois, personnes qui n’avaient pas ou plus d’activité, étudiants…
Ce qui m’étonne le plus à cette heure, c’est la faible proportion de jeunes : ils représentent à peine 10 % des auto-entrepreneurs inscrits, alors que je m’attendais à beaucoup plus. Sur ce point, je pense qu’on doit pouvoir faire bien mieux.
E&D : L’objectif des auto-entrepreneurs est-il plutôt de tester la viabilité d’un projet et poursuivre ensuite dans un cadre classique ou de rester dans ce régime sur le long terme ?
F. H. : Les deux cas de figure existent. Plus de 65 % des auto-entrepreneurs affirment vouloir devenir véritablement entrepreneurs. Mais il n’y a pas de modèle et c’est cela qui est intéressant. Certains, par exemple, conçoivent leur activité comme un complément de revenu ponctuel, augmentant leur pouvoir d’achat. D’autres y recourent par opportunité, à l’occasion d’une proposition de travail.
En réalité, au-delà du phénomène économique et entrepreneurial, il s’agit d’un phénomène de société. Ce nouveau régime est en dehors du contexte traditionnel : il a créé un appel d’air dans la société française en ouvrant des perspectives à de nombreuses personnes qui ne se définiraient pas du tout comme des entrepreneurs. Finalement, ce régime – qui n’est pas un statut – bénéficie à des profils très différents.
E&D : Vous insistez sur le fait que l’auto-entrepreneuriat n’est pas un statut mais un régime.
F. H. : Oui, c’est fondamental. Il s’agit d’un régime dont une personne demande le bénéfice. Il se caractérise essentiellement par la forfaitisation des charges et la simplification de l’inscription. Mais juridiquement, du point de vue de son statut, l’auto-entrepreneur est un entrepreneur individuel comme tous les autres.
Cela emporte une conséquence importante : le droit commun doit être respecté. C’est particulièrement notable pour les activités réglementées. S’il ne vient à l’esprit de personne de devenir, je l’espère, médecin auto-entrepreneur sans être diplômé, il ne faut pas non plus que quelqu’un ait l’idée de devenir plombier pour réparer la chaudière à gaz de son voisin s’il n’est pas qualifié, même en auto-entrepreneur.
E&D : Comment passer du régime de l’auto-entrepreneur au monde de l’entrepreneuriat ?
F. H. : La majorité des auto-entrepreneurs souhaitent devenir entrepreneurs et l’objectif est de leur donner le maximum de chances de réussite. L’idée directrice est que ce passage ne soit pas une marche mais une pente douce. Au demeurant, lorsque les plafonds de chiffres d’affaires sont dépassés, le changement se fait tout seul ; il n’est pas nécessaire de se radier. A ma connaissance, il y a déjà un grand nombre d’auto-entrepreneurs qui sont dans ce cas.
J’insiste sur un point : être d’abord auto-entrepreneur quand on veut devenir entrepreneur constitue un excellent apprentissage, que l’on peut comparer à la conduite accompagnée par rapport au permis de conduire. Cependant, il reste nécessaire lorsque l’on grandit de se faire aider des professionnels pour franchir les étapes (experts-comptables, Chambres de commerce et d’industrie…). Accompagner les auto-entrepreneurs dans cette démarche est d’ailleurs l’un des objectifs de l’Union des auto-entrepreneurs.
E&D : Cette organisation, que vous avez fondée, a été créée en février 2009. Comment la définiriez-vous ?
F. H. : L’Union des auto-entrepreneurs est, juridiquement, une association loi de 1901. Le constat à l’origine de sa création était que les auto-entrepreneurs n’appartiennent pas, ou pas encore, à la famille des entrepreneurs. Ils sont dans une situation à part, ils se posent beaucoup de questions. Certains y répondent par eux-mêmes, d’autres ont des conseils extérieurs, d’autres encore recherchent une aide et souhaitent des outils de professionnalisation.
Je réfute le mot de syndicat, que l’on entend parfois, parce que ce n’est pas un syndicat au sens français du terme. A la rigueur, on pourrait parler d’un syndicalisme à la suédoise. L’UAE peut se définir comme une communauté d’individus, à laquelle est offert un ensemble de services.
E&D : Quelles sont plus précisément les différents services proposés par l’UAE ?
F. H. : L’UAE s’adresse à tous ceux qui sont, ou envisagent de devenir, auto-entrepreneurs. Elle répond à toutes les questions à partir de son site internet. Parfois, nous intervenons pour régler certains problèmes en jouant le rôle du go-between entre l’auto-entrepreneur et, par exemple, l’URSSAF. L’UAE met également en relation auto-entrepreneurs et clients potentiels, toujours à l’aide du site.
En ce qui concerne la professionnalisation, nous offrons des instruments et des outils qui permettent d’être encore plus crédible, encore plus fort, pour que les étapes s’enchaînent rapidement, naturellement, que les écueils – s’il y en a – soient écartés. Dans cette perspective, l’UAE propose des services comme de la bancarisation, de l’assurance… Nous signons également des accords avec des partenaires pour accompagner les auto-entrepreneurs. Dans ce cadre, une formation vient d’être lancée en partenariat avec l’ESCP Europe.
E&D : Quel bilan peut-on dresser de ce régime quelques mois après sa création ?
F. H. : Il ne faut pas oublier que ce régime, né le 1er janvier 2009, n’a que 8 mois. C’est un nourrisson. En si peu de temps, le chemin qu’il a parcouru est impressionnant. Il est au centre des discussions partout où on parle « Économie », dans les Chambres de commerce et d’industrie, au MEDEF, à la CGPME, dans la société française, dans la presse… Ses résultats sont exceptionnels, en si peu de temps, comparé à la longue histoire de l’entrepreneuriat. C’est pour cela que je redis qu’au-delà du phénomène économique, c’est avant tout un phénomène de société. La société française change avec l’auto-entrepreneur.
L’auto-entrepreneuriat vient de naître : ne lui demandons pas tout. Il est trop tôt pour dresser un véritable bilan. Dans quelques années, il sera possible d’en savoir plus, dès lors qu’il y aura un fonds de population. Je suis persuadé que dans 10 ans, il y aura plus d’1 million d’auto-entrepreneurs. De nombreuses personnes se seront inscrites, sans jamais se radier, parce quelqu’un leur proposera un jour de faire un travail et qu’ils accepteront.
E&D : Le régime de l’auto-entrepreneur est-il adapté à toutes les situations ?
F. H. : Il faut profiter de tous les compartiments du jeu. Généralement, quelqu’un qui veut lancer une activité à titre exclusif n’a pas de raison de choisir le régime d’auto-entrepreneur. Dans ce régime spécifique, il ne récupère pas les charges et il n’est pas assujetti à la TVA : ce n’est donc pas intéressant pour investir. Or, pour une activité exclusive, sauf à faire du conseil ou de la prestation intellectuelle, des investissements sont souvent nécessaires. Le régime de l’auto-entrepreneur n’a pas totalement d’intérêt dans ce cas. C’est pour ça d’ailleurs qu’un certain nombre d’auto-entrepreneurs nous disent, d’ores et déjà, qu’ils vont devenir entrepreneurs.
En revanche, pour une activité à titre cumulatif, le samedi, le dimanche, le soir, pour voir si l’idée est bonne, ce n’est pas du tout pareil. Il faut accepter de jouer le jeu de la forfaitisation. Ça a ses avantages et ses limites.
E&D : Le nombre de créations d’entreprises a connu un véritable boom avec ce nouveau régime, pour atteindre plus de 50 000 créations par mois. Mais a-t-on une idée de la pérennité de ces auto-entreprises ?
F. H. : La question ne se pose pas en ces termes. Il ne faut pas essayer de comparer ou d’assimiler les auto-entrepreneurs à des entrepreneurs classiques. On n’est pas dans le même modèle. Ils n’ont ni les mêmes vertus, ni les mêmes fonctions, ni les mêmes contraintes.
Concernant l’auto-entrepreneur, la qualité et le principe du système sont qu’il ne paye de charges, fiscales ou sociales, que s’il travaille. Lorsqu’il ne gagne rien, rien ne se passe. Pour un entrepreneur ce n’est pas du tout pareil : il paye des charges quoi qu’il arrive.
E&D : Devenir auto-entrepreneur, est-ce vraiment sans risque ?
F. H. : Un auto-entrepreneur est nécessairement en bonne santé. S’il le fait en cumulatif avec autre chose, il ne sera pas atteint par les difficultés. S’il le fait en alternatif, il tente, il teste. Enfin, s’il le fait en exclusif, c’est pour devenir entrepreneur. La flexibilité, la souplesse et la simplicité du système font qu’il est presque impossible pour un auto-entrepreneur d’être en difficulté.
C’est précisément ce qui fait l’originalité du régime : c’est la première fois qu’on offre la possibilité de créer une activité sans risque. Pour l’anecdote, lors d’une conférence, quelqu’un s’est levé dans un public de 1 000 personnes et m’a dit : « ce n’est pas possible, c’est trop beau, il y aura forcément un piège ». J’y ai à nouveau réfléchi et je lui ai promis qu’il n’y en avait pas. Un auto-entrepreneur, en haut du plafond, peut gagner jusqu’à 1,8 SMIC par mois. Il n’y a rien à perdre et tout à gagner.