Encadré par un décret datant de 1981, le droit français de l’arbitrage a été, au fil des ans, interprété et adapté par la jurisprudence. Afin prendre en compte l’évolution du droit et de notre société depuis trente ans, un décret du 13 janvier 2011 est venu réformer la réglementation en la matière.
Ce texte, dont l’entrée en vigueur est fixée au 1er mai 2011 devrait permettre une meilleure accessibilité au droit français de l’arbitrage interne comme international. Rencontre avec Ivan Zakine, Président de Chambre honoraire à la Cour de cassation et Conseiller du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP) près la CCIP.
Entreprise-et-droit : Quel bilan faites-vous de l’application de la réglementation actuelle ?
Ivan Zakine : Dans l’avant-propos de la 6ème édition de son célèbre traité « L’arbitrage – Droit interne, Droit international privé », Jean ROBERT saluait « le grand virage que les décrets de 1980 et 1981 ont fait prendre à l’arbitrage en France » et il poursuivait en écrivant : « il est permis d’affirmer que cette construction, aussi harmonieuse que précise, a passé les espérances de ses auteurs ».
Il soulignait que « l’une des pensées qui avaient habité la rédaction des décrets a été l’institution d’une collaboration poussée des juridictions (et singulièrement du Président du Tribunal de grande instance) à l’administration de la justice arbitrale » et que « le mariage ainsi institué s’est révélé aussi heureux que productif ».
Après avoir mis en évidence l’action de la jurisprudence qui recherche « autant qu’il est possible, la meilleure mise en œuvre des conventions arbitrales », il relevait l’œuvre de la doctrine et les thèses qui se sont multipliées.
E&D : Le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 (entrée en vigueur le 1er mai 2011) vient réformer ce droit en modifiant le Livre VI du Code de procédure civile (articles 1442 à 1527). Pourquoi intervenir maintenant ?
I. Z. : Pendant les trente années qui ont suivi le décret de 1981, jurisprudence et doctrine ont déployé leur activité dans le souci permanent d’appliquer avec discernement le texte et d’éclairer les voies de son interprétation pour aboutir à un ensemble cohérent dont la qualité a été saluée non seulement en France mais aussi à l’étranger.
Or, une vision globale de cet ensemble suppose de longues recherches dans les recueils de jurisprudence et dans les ouvrages de doctrine, recherches qui font, peut-être, la joie des étudiants et des « thésards » mais qui risquent de décourager les praticiens du droit et les acteurs de la vie économique, notamment étrangers, soucieux de rapidité dans l’identification du texte applicable à la difficulté qu’ils ont à résoudre.
C’est cette lente mais harmonieuse construction qui a abouti à l’élaboration puis, après une large consultation des spécialistes du droit de l’arbitrage, à la publication du décret du 13 janvier 2011.
E&D : Quelles sont les grandes lignes de cette réforme au regard de la jurisprudence de ces 30 dernières années ?
I. Z. : Sans entrer pour l’instant dans les dispositions précises du décret, je ne saurais mieux faire que vous citer les termes du rapport au Premier ministre que le Garde des Sceaux a eu la très heureuse initiative de publier au Journal officiel avec le décret : « Pourtant, après trente ans de pratique, il est apparu nécessaire de réformer ce texte, afin, d’une part, de consolider une partie des acquis de la jurisprudence qui s’est développée sur cette base, d’autre part, d’apporter des compléments à ce texte afin d’en améliorer l’efficacité et, enfin, d’y intégrer des dispositions inspirées par certains droits étrangers dont la pratique a prouvé l’utilité ».
E&D : Pour entrer dans le détail, le nouvel article 1442 du Code de procédure civile réunit désormais la clause compromissoire et le compromis d’arbitrage, qui faisaient pourtant l’objet, jusqu’à présent, de régimes distincts. Ce regroupement est-il opportun ?
I. Z. : Ces deux actes juridiques ont le même objectif, pour la clause compromissoire, soumettre à l’arbitrage tout litige à naitre et pour le compromis, soumettre à l’arbitrage un litige déjà né. Il est donc dans la logique des choses et dans un souci de simplification, de leur appliquer le même régime.
E&D : Aux termes du nouvel article 1443 du Code de procédure civile, la convention d’arbitrage doit dorénavant être écrite à peine de nullité, cette condition ne s’appliquant antérieurement qu’à la clause compromissoire. Pourquoi une telle rigueur ?
I. Z. : Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une rigueur nouvelle, au surplus apparente seulement, à l’égard du compromis. En effet, dans la pratique généralement observée lorsque le litige est déjà né, la mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage résulte toujours soit de la signature d’une convention d’arbitrage ou d’un acte de mission, soit de l’adhésion au règlement d’arbitrage d’une institution d’arbitrage.
Au surplus, il convient de relever que l’article 1443 comporte une seconde phrase relative à la convention d’arbitrage, « elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale ». Voila pourquoi j’ai qualifié la rigueur d’apparente.
E&D : Le nouveau décret réaffirme le principe de « compétence – compétence » (article 1448 du Code de procédure civile) selon lequel c’est au tribunal arbitral lui-même de statuer sur sa propre compétence. En quoi cette disposition est-elle importante ?
I. Z. : Le principe de « compétence – compétence » est affirmé non seulement à l’article 1448 du Code de procédure civile mais aussi, et surtout, à l’article 1465 qui, dans une formulation bien plus lapidaire et percutante que celle de l’ancien article 1466, énonce : « Le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ».
Cette règle avait donné lieu à une abondante jurisprudence avant d’être unanimement admise par les praticiens. Il est sain, pour répondre au souci de clarification du décret du 13 janvier 2011, que cette règle prétorienne soit désormais inscrite dans la loi.
E&D : Avec cette réforme, le recours en annulation devient la voie de recours de droit commun et l’appel, l’exception (article 1489 du Code de procédure civile). Pourquoi cette inversion ?
I. Z. : Pour comprendre cette inversion, il faut avoir présente à l’esprit l’idée qu’en incluant une clause compromissoire dans le contrat ou en souscrivant un compromis d’arbitrage, les protagonistes ont, entre autres, un souci de célérité pour le règlement définitif du litige. Il est donc normal qu’une règlementation nouvelle prenne en compte ce souci et limite les causes de retard provoqué par l’usage abusif de procédures dilatoires. Elle laisse néanmoins le soin aux parties de prévoir la possibilité de faire appel si elles tiennent à disposer du double degré de juridiction au fond, étant ici précisé que le recours en annulation, toujours possible à défaut d’appel, n’est ouvert que pour des causes limitativement énumérées.
Je saisis l’occasion de cette question pour signaler que depuis sa création en 1995, le CMAP, dans son règlement d’arbitrage, pose la règle de la sentence rendue en dernier ressort, sauf, en arbitrage interne, volonté contraire des parties. Cette règle est désormais le droit commun de l’arbitrage dans notre pays.
E&D : Par défaut, le juge d’appui est dorénavant le président du TGI de Paris (article 1505 alinéa 1 du Code de procédure civile). A quoi correspond exactement cette évolution ? Plus généralement, quel est le rôle de ce juge dans un domaine de justice « privée » d’où il est en principe exclu ?
I. Z. : Ce n’est qu’en arbitrage international qu’à défaut de clause contraire le juge d’appui est dorénavant le président du TGI de Paris. Cette disposition met fin aux hésitations et donc aux tentatives dilatoires de certains plaideurs, pour désigner le juge d’appui compétent lorsqu’il faut régler en France une difficulté dans un arbitrage international.
En arbitrage interne, le juge d’appui sera en règle générale, comme il l’est déjà, le président du tribunal de grande instance ou, si la convention d’arbitrage le prévoit expressément, le président du tribunal de commerce.
On peut, certes, être surpris de cette « intrusion » d’un juge étatique, professionnel ou consulaire selon le cas, dans une procédure que les parties ont voulu, pour des raisons qui sont les leurs, soustraire à la juridiction étatique. Là encore, le rapport de présentation en donne une excellente explication : « en matière de procédure arbitrale le juge étatique intervient pour asseoir l’autorité du tribunal arbitral, dépourvu de tout imperium et pour permettre aux parties de conduire cette procédure efficacement, ceci dans le respect des principes de loyauté et d’égalité des armes ».
E&D : Pouvez-vous nous présenter « le principe de l’estoppel » consacré par l’article 1466 du Code de procédure civile ?
I. Z. : En droit français, particulièrement dans le droit de l’arbitrage tant interne qu’international, ce principe est une application de l’obligation de bonne foi.
Il a été pour la première fois consacré par la Cour de cassation dans un arrêt de la 1ère Chambre civile du 6 juillet 2005 rejetant le pourvoi formé contre une décision de la Cour d’appel de Paris, du 28 juin 2001 qui avait décidé « qu’une partie, qui a elle-même formé la demande d’arbitrage devant le Tribunal des différends irano-américains et qui a participé sans aucune réserve pendant plus de neuf ans à la procédure arbitrale, est irrecevable, en vertu de la règle de l’estoppel, à soutenir, par un moyen contraire, que cette juridiction aurait statué sans convention d’arbitrage ou sur convention nulle, faute de convention qui lui soit applicable ».
Ainsi que l’énonce le rapport de présentation du décret du 13 janvier 2011, le nouvel article 1466 du Code procédure civile consacre «… une exception procédurale destinée à sanctionner, au nom de la bonne foi, les contradictions dans les comportements d’une partie, celle-ci étant liée par son comportement antérieur et, dès lors, empêchée à faire valoir une prétention nouvelle ». Une telle règle est incontestablement de nature à limiter et à sanctionner les stratégies dilatoires de certains plaideurs et a le mérite de mettre notre droit de l’arbitrage en accord avec celui de la plupart des pays.
E&D : La stricte distinction entre arbitrage interne et arbitrage international consacrée par le nouveau découpage en deux titres du Livre IV du Code de procédure civile vous paraît-elle pertinente ?
I. Z. : Cette distinction existait déjà dans le Livre IV du Code de procédure civile avec le Titre Cinquième intitulé L’arbitrage international. Mais la distinction est plus nette dans la nouvelle présentation du Livre IV, étant cependant précisé que, sauf convention différente des parties, diverses dispositions procédurales énoncées dans le Titre I « L’arbitrage interne » sont déclarées, dans le nouvel article 1506, applicables à l’arbitrage international.
E&D : Les règles applicables à l’arbitrage international sont plus souples que celles de l’arbitrage interne. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
I. Z. : Cette plus grande souplesse, déjà adoptée dans le décret de 1981 et largement admise par notre jurisprudence, répond au double souci de prendre en compte les nécessités du commerce international et de ne pas décourager les rédacteurs de clauses ou de conventions d’arbitrage pour le choix de la France comme siège d’un arbitrage international en raison d’une législation trop rigide.
Il convient toutefois de souligner qu’en toute hypothèse, il n’est pas possible de faire n’importe quoi en s’abritant derrière le caractère international de l’arbitrage. L’article 1510 nouveau du Code de procédure civile énonce en effet fort sagement : « Quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction ».
E&D : Selon vous, quels sont les autres apports importants de cette réforme ?
I. Z. : Comme autres apports importants du décret, je pense qu’il convient de signaler l’article 1442, alinéa 2 qui confirme la jurisprudence qui applique la clause compromissoire aux groupes de contrats dès lors que ces contrats apparaissent comme étant complémentaires, ou l’article 1447, alinéa 1 qui consacre l’autonomie de la clause compromissoire en énonçant dans une formule très claire : « La convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n’est pas affectée par l’inefficacité de celui-ci ».
E&D : Pour conclure, Paris est-elle LA place centrale en matière d’arbitrage ? Quels sont, à cet égard ses points forts ?
I. Z. : Depuis des années, Paris s’est incontestablement affirmée comme une place centrale en matière d’arbitrage, mais la concurrence est rude et d’autres villes sont aux avant-postes dans cette concurrence !
En rendant, par un texte unique, très accessible, notamment aux praticiens étrangers, la connaissance de la législation française de l’arbitrage interne comme international, cette réforme consolide les avancées, souvent hardies, de notre jurisprudence, clarifie les dispositions réglementaires applicables et favorise la célérité de la procédure. Elle contribuera, sans aucun doute à maintenir la place éminente de la France dans le monde de l’arbitrage.