La France compte aujourd’hui onze jours fériés listés à l’article L. 3133-1 du Code du travail. Ils correspondent à des fêtes religieuses et civiles. S’ils réjouissent les salariés en rythmant le calendrier de journées de repos, ils n’en demeurent pas moins des célébrations riches d’une signification historique forte.
C’est l’origine et le long cheminement que ces jours fériés ont souvent parcouru, avant de s’imposer dans nos agendas, qu’expose Jacqueline Lalouette dans son ouvrage très complet « Jours de fête – Jours fériés et fêtes légales dans la France contemporaine », aux éditions Tallandier.
Entreprise-et-droit : Votre livre « Jours de fête » s’attache à dresser un tableau historique des jours fériés et des fêtes légales. D’où vous est venue cette idée ?
Jacqueline Lalouette : Mes recherches d’historienne m’ont amenée à m’intéresser à la symbolique et à la mémoire. J’ai « croisé » tellement souvent ces fêtes en dépouillant de très nombreuses sources que travailler sur les fêtes légales, considérées comme un groupe spécifique, a fini par s’imposer à moi. Cet intérêt pour les fêtes légales a été accru par certaines questions d’actualité, notamment tout ce qui a concerné la journée de la solidarité après l’été 2003.
E&D : L’article L. 3133-1 du Code du travail liste les fêtes légales considérées comme des jours fériés, sans en énoncer la définition. Qu’est-ce qu’un jour de fête légale ?
J.L. : Au XIXe siècle, on s’est longtemps interrogé sur ce qu’était un jour de fête légale, pour savoir si cette expression s’appliquait uniquement aux célébrations religieuses ou également aux fêtes civiles et pour déterminer si l’acte créant une fête légale devait être une loi ou si un texte à caractère réglementaire suffisait. Pendant quelques décennies, ces deux questions ont reçu des réponses différentes.
Prenons l’exemple du 14 juillet. Alors que certains parlementaires se demandèrent s’il fallait préciser qu’il s’agissait d’une fête légale, d’autres n’en virent pas l’utilité, arguant que toute fête instaurée par une loi est forcément légale. En réalité, cela n’est pas systématique. Ainsi la journée fixée en 1892 pour commémorer la naissance de la Ière République, célébrée uniquement cette année-là, a bien été décidée par une loi, mais les diverses obligations juridiques attachées aux jours fériés (déterminées par le Code civil, le Code de procédure civile, le Code pénal, le Code électoral, etc.) n’ont pas été retenues pour cette journée, qui n’a donc pas été une « fête légale », au sens strict du terme.
E&D : Vous parlez de quatre fêtes religieuses sans y inclure le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte. Pourquoi ?
J.L. : Les lundis de Pâques et de Pentecôte ont été fixés comme jours fériés en 1886, pour des motifs étrangers à la religion. A cette époque, la République menait un combat visant à laïciser la France : le repos obligatoire du dimanche avait été supprimé en 1880, l’instruction religieuse avait disparu des programmes de l’école primaire en 1882 et, en 1886, une loi interdit de recruter les membres des congrégations religieuses pour enseigner dans les écoles publiques.
Mais, depuis un certain temps, les banques réclamaient que ces deux jours deviennent fériés, pour des questions relatives au paiement des échéances et au dépôt de protêts et aussi pour une harmonisation avec les autres places boursières européennes. La loi a donc été promulguée pour des raisons d’ordre purement financier.
Il n’y a bien que quatre fêtes religieuses. Les lundis de Pâques et de Pentecôte ont certes un substrat religieux, puisque, pendant longtemps, ils correspondaient à des fêtes catholiques (qui ne sont plus des fêtes d’obligation depuis Vatican II), mais leur instauration a été due à des considérations étrangères à la religion.
E&D : Quel avenir voyez-vous concernant ces fêtes religieuses dans notre calendrier laïc ?
J.L. : Plusieurs hypothèses seraient envisageables. La première naturellement serait de conserver le statu quo. Mais, on pourrait aussi décider de supprimer toute fête à caractère religieux. La troisième solution consisterait à ajouter des fêtes se rapportant à d’autres religions, notamment au judaïsme (Yom Kippour) et à l’islam (l’Aïd el-Kebir), ce qu’avait d’ailleurs préconisé la commission Stasi en 20031. Mais, à l’époque, il semblait difficile de créer deux nouvelles journées de fête alors qu’on cherchait à dégager une journée de solidarité…
L’idée de supprimer les fêtes chrétiennes a bien surgi, au moins une fois, dans notre histoire. Lors du vote de la loi de 1905, cette suppression a été demandée par quelques élus libres penseurs et anticléricaux, qui ne cachaient pas leur volonté de déchristianiser la France. Un député, Gérault-Richard, lui, n’en réclamait pas la suppression, mais souhaitait leur voir porter un autre nom : le jeudi de l’Ascension deviendrait la fête des Fleurs, Noël, la fête de la Famille… Aristide Briand, maître d’œuvre de la loi, a balayé en souriant cette suggestion.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la France est un pays de vieille culture chrétienne – plus précisément de vieille culture catholique – et que les Français sont attachés à ces fêtes religieuses, particulièrement Noël et à la Toussaint, même si celles-ci ont été largement sécularisées et déchristianisées.
E&D : Que célèbre exactement le 14 juillet : la prise de la Bastille en 1789 ou la Fête de la Fédération en 1790 ?
J.L. : En 1880, un député d’extrême gauche, Benjamin Raspail, déposa une proposition de loi pour que le 14 juillet devienne « fête nationale ». Or il n’avait pas précisé dans son texte à quelle année il se référait : 1789, avec la prise de la Bastille ou 1790, avec la Fête de la Fédération. Quand la proposition fut discutée à la Chambre des députés, puis, au Sénat, les monarchistes, pensant à 1789, s’y opposèrent et stigmatisèrent cette date qui, pour eux, correspondait à une journée « de honte et de sang ». Des parlementaires républicains avancèrent alors que le 14 juillet renvoyait aussi au 14 juillet 1790, jour de réconciliation nationale et d’union de la patrie, argument qui fut qualifié d’hypocrite par leurs adversaires. La loi fut votée en ces termes : « la République adopte comme jour de fête nationale annuelle la date du 14 juillet ». Rien dans le texte ne donne de précision sur l’année ; on peut donc estimer qu’elle se réfère à 1789 ou à 1790 (ou aux deux années), mais certainement pas à la seule année 1790, comme on l’entend parfois.
E&D : Le 1er janvier est souvent l’occasion de dresser des bilans et de prendre de bonnes résolutions. Quelle est son origine ?
J.L. : Le 1er de l’an a été déclaré férié en 1810, après consultation du Conseil d’État, et uniquement sur un avis de celui-ci. Il s’agissait alors de savoir si les règles du Code de commerce relatives aux échéances et aux protêts devaient s’appliquer au jour de l’an, qui était déjà férié dans l’administration publique, en vertu d’une circulaire antérieure de Napoléon Ier. Là encore, ce sont donc des raisons d’ordre financier qui ont joué.
Le jour de l’an, fête sociétale, a pris une importance progressive au fil des XIXe et XXe siècles. Il a aussi acquis une dimension politique, lorsque les Présidents de la République, depuis Vincent Auriol ont pris l’habitude, grâce à la radio et à la télévision, de présenter leurs vœux à toute la Nation, et non plus aux seuls parlementaires, comme auparavant. Au départ assez brefs, les vœux servirent, à partir du Général de Gaulle, à dresser un bilan et à annoncer un programme.
E&D : En conclusion, de votre point de vue, quels changements proposeriez-vous ?
J.L. : Je commencerais par mener un travail pédagogique de telle sorte que tous les Français sachent pourquoi ils fêtent tel jour ou tel autre. Je suis toujours ébahie de voir que la signification des différents jours fériés est largement ignorée. Un ministre de l’Education nationale et les services de l’Elysée ont même pu se tromper à propos du 8 mai, en parlant d’un armistice qui n’a jamais été signé… Enfin, on ne peut sans doute pas se permettre d’ajouter des jours fériés sans prendre en compte les conséquences économiques.