Le départage en matière prud’homale

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La procédure, propre aux prud’hommes, de renvoi en départage entretient un particularisme juridictionnel. Elle garantit, en toute circonstance, le respect du principe du paritarisme (représentation égalitaire d’intérêts opposés) en maintenant la continuité de l’instance.
Le point de départ est un partage des voix entre les conseillers salariés et les conseillers employeurs. Il s’agit là d’ailleurs d’un aléa inhérent au mode paritaire du fonctionnement de la justice du travail… C’est alors que peut intervenir le départage qui entraîne le recours à un juge professionnel (issu du tribunal d’instance).

La procédure du départage est au demeurant l’héritière de la technique du partage, qui a figuré dans le code de procédure civile de 1806 à 1972 et concernait différentes juridictions.
Rappelons que le paritarisme, principe des prud’hommes, est une singularité du système français et irlandais.

I – Le partage des voix

Selon l’article R. 1454-23 du Code du travail, le partage des voix se définit comme l’impossibilité de rassembler une majorité :  » Si cette majorité ne peut se former il est procédé comme en cas de partage des voix « .

Le partage des voix est un incident du délibéré rendant impossible le recueil d’une majorité dans la formation ainsi composée. C’est le changement de composition de la formation qui va permettre la production d’un jugement sans pour autant remettre en cause le principe de parité.

Dès le constat de partage des voix, la procédure est réactivée. Le renvoi à une audience de départage influe irrémédiablement sur la durée de la procédure. L’article L. 1454-2 du Code du travail dit que l’affaire est renvoyée devant la même formation (conciliation, bureau de jugement ou référé) mais présidée par un juge du tribunal d’instance du ressort duquel est situé le siège du Conseil de prud’hommes.

Dans le principe, le partage est soit total, soit partiel. L’intérêt du départage partiel est de limiter l’ingérence du juge départiteur dans le fonctionnement de la juridiction prud’homale. Dans la pratique, cela est peu usité. Succinctement, nous retiendrons seulement que la logique juridique du départage partiel est source de complication. Ainsi, même si le jugement partiel distingue clairement les questions litigieuses qui sont définitivement tranchées, de celles qui restent à soumettre au juge départiteur, certaines d’entre-elles peuvent être communes à plusieurs chefs de demande. Par ailleurs, les parties peuvent présenter des demandes nouvelles devant la formation de départage, d’où l’importance pour le justiciable que l’affaire puisse être totalement reprise. Fondé en droit, le partage partiel est au demeurant rare en pratique.

II – La procédure de départage

Selon l’article R. 1454-3 du Code du travail, il est dit que  » Les débats doivent être repris « .
Avec la réouverture des débats, c’est un nouveau procès qui commence. Les parties peuvent prendre de nouvelles conclusions, verser de nouvelles pièces aux débats et formuler de nouvelles demandes. L’étendue du litige est déterminée par le procès-verbal de jugement de partage des voix. La formation de départition se trouve saisie de toutes les demandes qui ont fait l’objet du renvoi en départage. Cette formation doit donc statuer sur toutes les demandes. Des mesures d’instruction peuvent être ordonnées. En pratique, il y a un faible intérêt porté à l’usage des mesures d’instructions en départage. Toutefois, après exécution des mesures d’instruction, l’affaire revient en formation de départage.

L’article R. 1452-7 du Code du travail stipule  » Les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail, sont recevables en tout état de cause, même en appel, sans que puisse être opposée l’absence de tentative de conciliation « . La formation peut donc être saisie par le requérant de nouvelles demandes dont il n’avait pas saisi initialement le conseil de prud’hommes. Toutefois, peut-on concilier le principe de nouvelles demandes alors que l’étendue de la saisine de la formation de départage est limitée au seul point sur lesquels la formation paritaire n’a pas pu trancher ? C’est la chambre sociale de la Cour de cassation qui en admet le principe dans un arrêt du 30 octobre 1991, et qui a depuis été confirmé par un autre arrêt du 28 avril 1994.

Le renvoi en formation de départage ne porte pas atteinte au principe du paritarisme. Simplement, pour dégager une majorité il y a un cinquième facteur : le magistrat professionnel. Le juge départiteur préside la formation de départage afin de faire émerger une majorité.
C’est en principe la même formation qui doit rejuger l’affaire. Cependant, cette nécessité est parfois difficile à réaliser. Le législateur a donc prévu la possibilité de remplacer des conseillers absents. Depuis 1987, un seul conseiller par collège peut se faire remplacer selon les termes de l’article R. 1454-30 du Code du travail. En cas d’absence, sans remplacement des conseillers, les conseillers présents sont de fait exclus du délibéré, le juge départiteur n’étant tenu que de recueillir leur avis.
Ces pouvoirs donnés au juge départiteur peuvent s’expliquer par le souci de respecter la parité. En effet, si les collèges sont inégalement représentés et si l’on acceptait la participation par le vote des conseillers lors du délibéré, c’est une rupture de l’équilibre des représentations des salariés et des employeurs,. Il s’ensuit que la formation de départage peut donc se réunir en toute hypothèse, quelle que soit sa composition.
Ce sont les pouvoirs du juge départiteur qui vont se trouver changés par cette composition. Les parties au procès ne peuvent invoquer le caractère incomplet de la formation. La formation est toujours régulière quelle que soit sa composition. Toutefois, la chambre sociale de la Cour de cassation exige que le jugement mentionne dans quelle circonstance la décision a été prise. L’absence d’indication constitue un des principaux moyens de cassation des jugements en départage. Si le juge départiteur statue seul, il est normal que les parties doivent en être informées.

Conclusion

Supprimée devant les autres juridictions, la procédure de départage a été maintenue en matière prud’homale, eu égard à la composition paritaire de cette formation. La justice prud’homale est un lieu où s’exprime très largement la démocratie. L’introduction du juge départiteur doit théoriquement garantir l’équilibre des intérêts des demandeurs et des défendeurs. Force est de remarquer qu’il y a un véritable front commun entre les collèges afin de pérenniser -quasiment en l’état- le mode de fonctionnement de la justice du travail.
Mais, si demain se met en place un espace judiciaire européen, quelle voie prendre ? Doit-on se rapprocher du juge du travail allemand ou plutôt du juge du travail espagnol ? L’exception française (partagée uniquement avec l’Irlande) en matière de justice du travail -une justice non échevinée- peut-elle perdurer ?

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