Le droit des affaires est de plus en plus soumis au droit pénal, notamment au droit pénal du travail. Le délit de travail dissimulé en est une démonstration exemplaire.
La vie des affaires nécessite sans doute que certaines règles soient rappelées, sans lesquelles le commerce ne pourrait s’épanouir. La menace de sanction est alors avant tout une prévention.
Mais le droit pénal du travail inquiète particulièrement en ce qu’il introduit cette menace dans la vie quotidienne et interne de l’entreprise. Abus de bien social, fraude fiscale, infractions en matière d’environnement… sanctionnent en général des actes sinon isolés, du moins épisodiques : un mouvement de fonds contraire à l’intérêt social, un bénéfice minoré, la liste est infinie. La relation de travail est en revanche constante ; le risque pénal qui s’y rattache est donc permanent. C’est ce qui le rend plus inquiétant encore.
Le délit de travail dissimulé est défini aux articles L. 324-9 et suivants du Code du travail.
La sanction principale est quant à elle prévue à l’article L.362-3 du Code du travail : deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende ; en cas de condamnation de la personne morale, l’amende est portée à 150.000 €uros (règle du quintuple).
1. Les formes de dissimulation
Deux infractions distinctes et complémentaires sont en fait prévues : la dissimulation d’activité et la dissimulation d’emploi salarié.
- dissimulation d’activité
Le délit vise deux pratiques souvent complémentaires : le défaut d’inscription au registre du commerce et des sociétés, ou au registre des métiers, et le défaut de déclaration fiscale ou sociale.
Précisons tout d’abord que l’activité dissimulée peut aussi bien être une activité commerciale, de services, de production, de transformation…
On a ainsi vu des condamnations d’agents d’assurances comme de sociétés commerciales, ou même d’associations lorsqu’elles ont en réalité une activité lucrative.
Il faut en effet que l’activité en cause ait un but lucratif, étant précisé que l’article 324-11 du Code du travail pose des présomptions en la matière, la liste en étant limitative (Cass. Crim. 16 fév. 1981, JCP G 1981, IV, 159) : recours à la publicité en vue de la recherche de la clientèle, fréquence ou importance, un matériel ou outillage présentant par sa nature ou son importance un caractère professionnel, facturation absente ou frauduleuse.
Comme exemple concernant le matériel et outillage professionnel : ont été condamnés deux hommes qui, après la liquidation judiciaire de l’entreprise de leur père garagiste, avaient conservé le matériel et l’utilisaient durant les week-ends pour effectuer des travaux au profit de leur entourage, moyennant rétribution.
Les formalités obligatoires, dont le manquement est sanctionné, sont d’une part l’immatriculation et, d’autre part, les déclarations fiscales et sociales.
Le défaut d’immatriculation peut naître non seulement de l’absence même de demande d’immatriculation, mais aussi de la poursuite d’une activité après refus d’inscription, ou après radiation. Cela vise donc aussi le dirigeant frappé d’une sanction d’interdiction de gérer et qui exerce son activité malgré cette condamnation.
Enfin, toute activité n’imposant pas d’inscription à un registre, le travail dissimulé est aussi caractérisé lorsqu’on omet de procéder aux déclaration fiscales et sociales diverses et variées auxquelles tout entrepreneur, sans exception, est soumis.
- dissimulation d’emploi salarié
Le second cas de délit de travail dissimulé est celui de la dissimulation d’emploi. Cela vise ici tout employeur, y compris une association, qu’il ait une activité à but lucratif ou non.
Là encore, le Code du travail prévoit deux cas : le défaut de déclaration préalable d’embauche et l’absence de remise de bulletin de paie.
Ces deux cas paraissent simples, leur violation aisément constatable et leur sanction logique et légitime. Mais en réalité, les condamnations prononcées révèlent des pratiques plus diverses, des variations qui peuvent conduire à la sanction d’un chef d’entreprise de bonne foi.
Un restaurateur a ainsi été condamné pour avoir employé durant des années son épouse sans la déclarer, celle-ci étant en salle et lui en cuisine.
Autre cas : » l’absence » de remise de bulletin de paie. En réalité, il peut s’agir d’un bulletin de paie incomplet. Le bulletin existe, il a été remis, mais toutes les heures de travail n’y sont pas mentionnées ; pour ces heures » oubliées « , le bulletin n’a pas été remis, le délit est caractérisé.
Le cas n’est pas rare : heures supplémentaires non mentionnées, ou réglées par le biais de primes non chargées, voire de » frais de transports « …
Normalement ces pratiques sont sanctionnées par de simples contraventions, mais elles entrent aussi dans le champ d’application du travail dissimulé. Pour le choix de la sanction, tout dépendra de la gravité et de la répétition de l’infraction.
En revanche, si les heures apparaissent bien, mais sous une rubrique inexactement intitulée, le délit n’est pas caractérisé.
Concernant enfin le défaut de déclaration préalable d’embauche, une régularisation peut intervenir. La déclaration tardive ne sera pas sanctionnée au titre du travail dissimulé, sous réserve toutefois que l’employeur n’attende pas que le salarié saisisse la justice, auquel cas il est trop tard (CA Besançon, 21 mars 2000).
2. Fausse sous-traitance et pouvoir de requalification du juge
La dissimulation passe bien souvent par l’affirmation, par le contrevenant, que le salarié n’est justement pas un salarié. Faute d’embauche véritable, il n’y aurait pas lieu déclaration préalable d’embauche, ni a fortiori à remise d’un bulletin de paie.
On est ici dans le cas d’une fausse sous-traitance. Un employeur, pour éviter d’avoir à régler les charges afférentes aux salaires de son employé, ou régler les frais d’un éventuel licenciement, va recourir à une externalisation artificielle. Celui qui était son salarié, ou aurait pu l’être, deviendra lui-même un chef d’entreprise, payant seul ses charges sociales.
Mais, bien souvent, le juge constatera que le sous-traitant n’a qu’un client, qu’il reçoit de véritables ordres du donneur d’ouvrage, qu’il est en réalité soumis à un lien de subordination constant, ou à un état de » dépendance économique « .
Derrière un faux contrat de sous-traitance, un véritable contrat de travail dissimulé. En cas de rupture, le juge prud’homal requalifiera le contrat de sous-traitance en contrat de travail, et la rupture en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, le juge pénal condamnera quant à lui pour délit de travail dissimulé.
On pourrait imaginer objecter à cette requalification une présomption légale d’emploi non salarié.
La loi Madelin du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle instituait en effet une présomption d’absence d’activité salariée à l’égard des travailleurs indépendants. Abrogée par la loi Aubry du 19 janvier 2000, cette présomption a été rétablie par la loi Dutreil du 1er août 2003 sur l’initiative économique.
En réalité, le juge devra simplement rendre un jugement plus détaillé, décrivant le lien de subordination ou la dépendance économique qui le conduisent à sanctionner. Il expliquera pourquoi il ne s’arrête pas à la présomption qu’on lui oppose.
3. L’auteur de l’infraction : le cas du client coupable
Dernière question, fondamentale : qui peut être poursuivi ? La réponse peut paraître évidente : l’employeur.
Certes, mais pas seulement : ses clients aussi. L’article L. 324-9 du Code du travail est clair : » Il est également interdit d’avoir recours sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé. « , quelle qu’en soit la forme, par la dissimulation d’activité ou par celle d’emploi salarié.
Gage d’une lutte plus efficace contre le recours au travail dissimulé, la poursuite du donneur d’ouvrage se justifie aussi par la volonté de sanctionner ceux qui bénéficient véritablement du délit. Or dans certains cas, le client ne peut ignorer le travail dissimulé, il recours » sciemment « à un chef d’entreprise employeur indélicat.
Il n’est pas inutile à cet égard de rappeler que l’article L. 324-14 du Code du travail impose de vérifier, dès lors que l’on conclut un contrat d’un montant supérieur à 3.000 €uros, que celui avec qui on signe ne commet pas, chez lui, au sein de son entreprise, le délit de travail dissimulé. Ce pour toute exécution d’un travail, fourniture d’une prestation de service ou accomplissement d’un acte de commerce.
La sanction pour le client est non seulement sa condamnation lui aussi pour délit de travail dissimulé, mais également sa condamnation solidaire au paiement des impôts taxes et cotisations qui sont dues et au remboursement des aides publiques éventuellement reçues.
Parfois, il est évident qu’on contracte avec un entrepreneur malhonnête. Des prix exceptionnellement bas, pour des travaux à brefs délais nécessitant une main d’œuvre conséquente, révèlent à l’évidence le délit.
Mais la Cour de cassation est très rigoureuse : même lorsque l’évidence ne permet pas de provoquer la méfiance, ne pas vérifier suffit à commettre le délit.
Conclusion
Inquiétant, multiforme, menace constante dans la vie de l’entreprise, dans sa gestion interne comme dans ses relations avec les clients, le droit pénal du travail, dont le délit de travail dissimulé n’est qu’une illustration, doit inciter le chef d’entreprise à une vigilance qui peut se révéler profitable.
Rédiger un contrat de travail, éditer un bulletin de paie, conclure un contrat important avec un client, sont autant d’actes dont l’incidence est non seulement comptable mais aussi, on vient de le voir, juridique, nécessitant un conseil éclairé.
Leur rédaction ou leur conclusion sont l’occasion d’un dialogue entre l’entrepreneur et ses conseils, qui sont ses partenaires privilégiés. Ce dialogue permettra de faire le point sur l’évolution de l’entreprise, sur ses perspectives. Il permettra de sécuriser l’entrepreneur, mais aussi de le libérer : débarrassé du juridique, source de dangers judiciaires, il pourra se consacrer à ce qu’il aime et ce qui le motive : créer.
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