Depuis le début de cette année, un débat « ancien » a été réactivé : faut-il ou non introduire la class action dans notre système de droit ? Ce mécanisme venu tout droit d’Amérique du Nord peut-il se fondre dans la culture juridique française ?
Mesdames Anne Outin-Adam, directeur des développements juridiques à la CCIP, et Joëlle Simon, directeur des affaires juridiques du MEDEF, ont accepté de répondre aux questions d’entreprise-et-droit.
Entreprise-et-droit : Pourriez-vous définir en quelques mots la class action ?1
Joëlle Simon : Si l’on s’en tient à une traduction littérale, class action renvoie à la notion de recours collectif. Cependant ce serait par trop restrictif et le vocable » class action » recouvre en fait des situations multiples selon les Etats et les systèmes juridiques. Mais le trait commun de ces procédures est de permettre à une personne de représenter en justice un groupe sans avoir à obtenir le mandat de ses membres.
Anne Outin-Adam : Effectivement et j’illustrerai les propos de Joëlle Simon par deux exemples.
Premier exemple, le Québec. La class action permet à un seul individu de représenter un groupe – sans limitation quant au nombre de personnes – afin d’intenter une action contre une entreprise. L’individu en question n’a pas besoin de mandat préalable des plaignants. En revanche, une autorisation du juge est toujours obligatoire avant de pouvoir enclencher la procédure.
Second exemple, la Suède. Dans cet Etat, l’action peut être menée par un seul individu, une association de consommateurs, une entité gouvernementale… Il n’existe pas, en revanche, d’autorisation juridictionnelle préalable.
Joëlle Simon : Une autre différence fondamentale peut être relevée entre ces deux pays. Alors que le Québec a institué l’opt out, la Suède a retenu l’opt in. Je précise : dans l’opt out, tout individu dans une situation identique vis-à-vis du défendeur est réputé être automatiquement partie à la class action. Il doit effectuer une démarche volontaire pour s’en retirer. Dans l’opt in, une personne qui désire participer à l’action collective doit déclarer son intention en ce sens.
E-et-D : Le système que vous décrivez semble être bien rodé à l’étranger. Alors pourquoi tant d’interrogations, voire de réticences à son introduction en France ?
A. O.-A. : En fait, le système n’est pas si bien rodé que cela, pour reprendre les termes de votre question. La preuve : en février dernier, les Etats-Unis ont réformé leur droit pour tenter de remédier aux dérives engendrées par la multiplication de ces class actions.
E-et-D : Quelles dérives ?
A. O.-A. : Il faut être conscient qu’en pratique ce ne sont pas les consommateurs qui sont les principaux bénéficiaires de ces procédures, mais des cabinets spécialisés qui n’hésitent pas à mettre en péril la santé économique de secteurs entiers.
J. S. : Sans compter la menace du recours à l’arme médiatique, et cela n’est pas seulement valable pour les Etats-Unis. En effet, les class actions se transforment parfois en de véritables lobbies qui agitent le recours aux média pour peser sur la notoriété d’une entité. Cette dernière préfère alors transiger plutôt que d’être l’objet des unes journalistiques.
E-et-D : Dans l’optique d’une extension de la class action à la France, quelles mesures recommandez-vous ?
J. S. : Une extension de la » class action » à la France nous semble radicalement inenvisageable, en ce qu’elle impliquerait un bouleversement de nos principes juridiques fondamentaux. Mais cela ne signifie pas que les consommateurs – puisqu’on s’interroge sur l’introduction d’une action de groupe à leur profit – sont complètement dépourvus de moyens juridiques s’ils souhaitent agir contre une entreprise. Je vise ici tout d’abord la possibilité pour des associations de consommateurs de saisir la justice afin de défendre un intérêt collectif commun. Je songe également aux procédures en cessation d’agissements illicites destinées notamment à faire mettre fin aux clauses abusives présentes dans certains contrats. Enfin, un regroupement de consommateurs via des mandats écrits ad hoc est possible pour des préjudices individuels : il s’agit de l’action en représentation conjointe. Sans oublier le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges qui doit être développé.
A. O.-A. : Nos deux institutions – la CCIP et le MEDEF – participent activement aux travaux du groupe de travail intergouvernemental constitué sur cette question, lequel rendra public son rapport vraisemblablement fin octobre.
La protection des consommateurs doit bien évidemment être assurée. Mais il est tout aussi essentiel de préserver l’équilibre de notre système juridique. Prenons garde à ne pas introduire dans notre droit une procédure qui apparaît encore trop souvent, outre-Atlantique, comme un outil de chantage contre les entreprises.