Depuis longtemps, les mondes télévisuel et juridique savent l’intérêt, voire l’engouement, des Français pour le droit. Quoi de plus naturel dès lors que ces deux univers agissent de concert et projettent la création d’une chaîne thématique.
Un groupe de travail réunissant différents experts au Barreau de Paris élabore ainsi les modalités de la Télévision du Droit.
Son objectif : divertir, informer, décrypter. Sa cible : tous publics, surtout pas limitée aux professionnels du droit. Son canal de diffusion : Internet (du moins dans un premier temps). Sa date idéale de lancement : 2008.
1. Une chaîne axée sur le divertissement et la pédagogie
La Télévision du Droit (LTD) aurait pour ambition de proposer des programmes à la fois divertissants et éducatifs ; tous ayant pour dénominateur commun la thématique juridique. Sont ainsi à l’étude :
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des divertissements : séries, films mais aussi jeux – type Question pour un champion – adaptés au droit ;
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des reportages sur la » vie du droit « , tels qu’une caméra embarquée suivant un huissier pendant une saisie, le quotidien d’un juge ;
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des documentaires avec des images d’archive ;
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un journal télévisé présentant un décryptage juridique de l’information. Il apporterait un éclairage différent et original sur certains événements comme le coup de tête de Zidane, les caricatures du prophète Mahomet… ;
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des fiches pratiques ;
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des consultations en direct ;
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des retransmissions de procès ;
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Quand le Barreau de Paris a initié le groupe de travail, il recherchait avant tout la création d’une chaîne scientifiquement et déontologiquement pertinente. Face aux appétits de certains groupes privés, les craintes d’une mise en scène sensationnaliste du droit sont réelles. Comment ne pas être tenté au nom de l’audimat de privilégier la retransmission de procès criminels ou de commenter de façon voyeuriste des faits divers ?
Toutefois, si les avocats parisiens sont pilotes, ils n’envisagent pas d’en faire leur propre chaîne. C’est un opérateur qui prendra le relais et sera alors chargé de la créer ; les professionnels du droit composant le comité éditorial.
2. Une chaîne aux enjeux multiples
Si le projet est porteur et les propositions du Barreau alléchantes, des questions d’éthique se soulèvent assez naturellement.
Qu’en est-il du financement ? Public ? Privé ? La Télévision du Droit doit avoir en toutes circonstances une indépendance de ton. Comment la garantir si ses financeurs (d’où qu’ils viennent) peuvent au gré de leurs intérêts propres licencier les responsables éditoriaux ?
La diffusion télévisuelle des procès ne risque-t-elle pas d’agir sur la psychologie de ses acteurs ? Avec la starisation et le mythe de la téléréalité, ne faut-il pas craindre de voir des prévenus ou des témoins déformer le récit de leurs faits et gestes pour les embellir, tout cela parce qu’ils sont sous les projecteurs ? Les magistrats eux-mêmes ne subiraient-ils pas également la pression de l’image ?
Quelle réglementation juridique s’applique à la retransmission de procès ? L’article 38 ter de la loi sur la liberté de la presse prohibe l’emploi de tout appareil d’enregistrement sonore ou audiovisuel lors d’audience des Cours et Tribunaux. Certes, des aménagements ont été adoptés, par exemple depuis 1985 et l’autorisation de la captation aux fins d’archives et de constitution d’une mémoire audiovisuelle. Il demeure que diffuser un procès dans son intégralité, en direct ou en différé, n’est pas aujourd’hui autorisé
En cas d’autorisation de filmer, que diffuser ? L’intégralité du procès ? Seulement des extraits ? Il est malheureusement à craindre un goût du spectateur pour le sensationnel entraînant une dénaturation du procès par sa réduction à quelques » moments-chocs « . Pour autant, il faut reconnaître qu’un procès peut être long et d’un intérêt inégal. Or, une chaîne de télévision doit capter le téléspectateur.
Comment les téléspectateurs pourront-ils oublier le visage d’un ex-condamné ayant retrouvé la liberté ? Si un procès est retransmis puis rediffusé pendant des années, le visage de l’accusé s’imprime dans la mémoire collective. Or, une fois que le prévenu a purgé sa peine ou qu’il est acquitté, n’a-t-il pas légitimement le droit de retrouver l’anonymat, d’oublier cet épisode de son existence ? Comment lui garantir si tout à chacun peut le reconnaître ?
Tels des funambules, les créateurs de la Télévision du Droit avancent en se préservant de deux écueils. Ils refusent, tout d’abord, la tentation d’une chaîne de spécialistes pour des spécialistes et visent un média grand public. Ils écartent, ensuite, le côté passionnel et compassionnel du droit et de la justice.
C’est le juste milieu qu’ils favorisent : expliquer le monde juridique en tant qu’élément de notre environnement social tout en empêchant son assimilation à un pur produit marchand et économique.