Brainstorming, retroplanning, consulting, copyright… et même e-mail ! L’anglais a envahi le quotidien du monde du travail en France. Et pourtant la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française affichait un triple objectif : enrichir la langue, défendre le français en tant que langue de la République et rendre obligatoire son utilisation.
Ses prétentions furent toutefois limitées dans leur portée par une décision du Conseil constitutionnel qui a déclaré que la loi ne peut fixer ni la terminologie à employer par des personnes privées dans l’ensemble des leurs activités, ni celle à utiliser par les organismes de télévision ou de radio.
L’obligation de l’usage du français a ainsi été limitée :
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à la rédaction de contrats auxquels est partie une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public ;
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à l’utilisation d’une marque de fabrique, de commerce ou de service par une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public ;
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aux échanges commerciaux, y compris les documents destinés à informer l’utilisateur ou le consommateur.
Qu’en est-il dans l’entreprise ?
Le français est également la langue du travail et la loi Toubon comporte des dispositions en ce sens.
Le contrat de travail doit être rédigé en français même s’il est exécuté dans un pays étranger, n’excluant pas la possibilité d’une traduction dans une autre langue si le salarié est étranger. En outre, si la présence d’un terme étranger est indispensable, sa définition en français doit être ajoutée (article L. 1221-3 du Code du travail).
L’article L. 1321-6 du Code du travail rend, par ailleurs, obligatoire l’emploi du français dans la rédaction de « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son contrat de travail ».
Le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères.
Il en va de même pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers. »
Le français est donc la langue du contrat de travail et celle de l’exécution du contrat de travail. C’est la jurisprudence qui a déterminé le champ des documents concernés par cette obligation d’usage.
Les documents devant être rédigés en français
C’est essentiellement à partir de 2004 que les syndicats ont commencé à faire entendre leur mécontentement devant l’utilisation de plus en plus importante de l’anglais dans le quotidien des salariés : notices d’utilisation, logiciels… Trois décisions importantes ont précisé les contours de l’application de la loi Toubon dans ces domaines. Par ailleurs, en 2009, un arrêt a précisé que les propositions de reclassement devaient également être écrites en français.
Sur les notices
Un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 2 novembre 2004a censuré l’arrêt de Cour d’appel au motif que le faible nombre de salariés concernés par l’utilisation de documents en anglais accompagnant un progiciel « n’est pas de nature à dispenser la société défenderesse de cette obligation légale« . L’arrêt fait référence à l’article L.122-39-1 du Code du travail (devenu l’article L. 1321-6).
Il en ressort qu’une notice, même à l’usage unique d’utilisateurs spécifiques, doit être rédigée en français ; une simple traduction ne suffit pas.
Une autre affaire a eu un impact encore plus grand dans l’histoire du contentieux en matière d’usage de la langue de Molière dans l’entreprise. C’est l’affaire Gems. Ici, cette société du groupe étasunien General Electrics communiquait à ses salariés français tous ses documents de travail en anglais. Il s’agissait aussi bien de guide d’utilisation de logiciels Windows que de documentation relative à la maintenance des appareils distribués par Gems. Pour sa défense, Gems faisant valoir, d’une part, son origine anglo-saxonne et, d’autre part, l’internationalité de ses clients.
La Cour d’appel a rejeté ces arguments : la preuve de l’origine étrangère des documents n’a pas été rapportée, pas plus que la destination uniquement étrangère de ceux-ci. C’est donc en français que doivent être envoyés les documents de travail. La loi n’interdit pas, pour autant, d’assortir ces documents de traductions en langues étrangères.
Sur les logiciels
Le 27 avril 2007, le TGI de Nanterre a décidé qu’une entreprise implantée en France ne peut obliger ses salariés à utiliser un logiciel qui n’est pas en français. La société Europ Assistance s’est trouvée condamnée à mettre à disposition de ses salariés, sous astreinte, une version française du logiciel de consolidation comptable et de la base de données utilisés, de langue anglaise.
Alors que les salariés avaient refusé d’utiliser ces outils en invoquant la loi Toubon, Europ Assistance avait fait traduire le guide d’utilisation et proposé des formations aux utilisateurs. Insuffisant selon le TGI qui a fait valoir le raisonnement de la Cour de cassation sur le nombre d’utilisateurs concernés.
Autre argument invoqué par Europ Assistance : la vocation internationale des logiciels. Là encore le TGI a fait appel à la jurisprudence antérieure : si la provenance étrangère du logiciel n’est pas suffisamment rapportée et s’il est à usage de salariés français, l’outil doit alors être en français.
Sur les propositions de reclassment
Plus récemment, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 septembre 2009 a considéré qu’un employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement dans le cadre d’un licenciement dès lors qu’aucune des propositions de postes n’était individuelle, précise et personnalisée. La Cour a relevé, au surplus, que « les postes proposés étaient strictement identiques d’un salarié à l’autre, étaient tous rédigés en anglais contrairement aux prescriptions de l’article L. 1326-1 du Code du travail et n’étaient pas précis sur des éléments aussi fondamentaux que l’entité juridique de l’employeur, la nature du contrat, la durée du travail ou le droit applicable ».
A retenir :
Tous les documents susceptibles de créer des droits et obligations dans le cadre de l’exécution du contrat de travail du salarié doivent être traduits.
Remarque : En 2005, le sénateur Philippe Marini a déposé une proposition de loi qui avait pour objet de compléter le dispositif de la loi Toubon. Il proposait, entre autres, que l’exception qui concerne les documents reçus de l’étranger ne s’applique que pour les salariés dont l’emploi nécessite une parfaite connaissance de la langue étrangère utilisée. Cette proposition avait été votée par le Sénat mais est demeurée sans suite.