A l’image de son voisin allemand, la France incite fortement ses entreprises à augmenter leurs activités de création et de recherche afin de dynamiser le développement économique du pays. A l’origine de ces innovations, les véritables initiateurs sont finalement les salariés inventeurs, souvent en quête de reconnaissance. Or un système de rémunération incitatif qui stimulerait leur esprit créatif permettrait de mieux contrer la concurrence étrangère.
La loi en vigueur prévoit pourtant l’obligation de verser une rétribution financière spécifique aux inventeurs. Cependant, elle n’en fixe pas le montant et renvoie aux conventions collectives, accords d’entreprises et contrats individuels de travail le soin d’en déterminer le mode de calcul et donc le montant.
Sur cette base, l’Observatoire de la propriété intellectuelle (OPI) a réalisé en 2008 une enquête de laquelle ressort ce constat alarmant : « les dispositions prévues dans les conventions collectives sont, quand elles existent, floues et incomplètes, voire irrégulières ». Il est donc prioritaire, aujourd’hui, de renforcer la sécurité juridique des « inventions de salariés », tant du point de vue de l’employeur que de celui du salarié inventeur.
I – Trois catégories d’inventions de salariés
1. Les inventions de mission
2. Les inventions hors mission attribuables
3. Les inventions hors mission non attribuables
II – Obligations et droits
1. La mention du nom de l’inventeur
2. Le formalisme et l’obligation de confidentialité
3. La déclaration d’invention
III – Recours
IV – La Commission Nationale des Inventions de Salariés
V – Quelle réforme envisager ?
I – Trois catégories d’inventions de salariés
Les inventions de salariés sont définies par l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle. Trois catégories d’inventions de salariés se distinguent :
1. Les inventions de mission
Les inventions de mission sont les inventions faites par le salarié :
- soit dans l’exécution de son contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives ;
- soit dans le cadre d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées.
Ces inventions de missions appartiennent à l’employeur. Le salarié « inventeur » bénéficie d’une rémunération supplémentaire. Le montant de cette contrepartie financière, soumise à l’impôt sur le revenu, n’est pas fixé par la loi et il appartient aux conventions collectives, accords d’entreprise et contrats individuels de travail de le déterminer.
Le montant de cette gratification a été établi forfaitairement en tenant compte :
- du cadre général de recherche dans lequel s’est placée l’invention ;
- des difficultés de la mise au point pratique ;
- de la contribution personnelle originale de l’intéressé dans l’individualisation de l’invention elle-même ;
- de l’intérêt commercial de celle-ci.
2. Les inventions hors mission attribuables
Les inventions hors mission mais attribuables par l’employeur sont les inventions faites par le salarié :
- soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions ;
- soit dans le domaine des activités de l’entreprise ;
- soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle.
En contrepartie, le salarié doit obligatoirement obtenir le paiement du « juste prix » de son invention, lequel peut prendre la forme d’une somme forfaitaire fixe ou d’un pourcentage du chiffre d’affaires engendré par l’invention. Ce juste prix est soumis au régime d’imposition des bénéfices non commerciaux.
TGI de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 19 mai 2009 : Pour la première fois, un TGI ne fixe pas, arbitrairement, le montant du juste prix mais applique une formule de calcul qui, en l’occurrence, est celle de la SNCF depuis 2003 :
- 1 % au moins des profits ou économies réalisées pendant 5 ans grâce à l’invention si celle- ci est de mission ;
- 2 % au moins des profits ou économies pendant 5 ans si l’invention est « hors mission attribuable ».
3. Les inventions hors mission non attribuables
Les inventions hors mission non attribuables par l’employeur regroupent toutes les autres inventions et appartiennent au salarié.
Les stagiaires
Les stagiaires accueillis au sein d’une entreprise privée n’ont pas le statut de salarié. Le régime des inventions de salariés ne leur est donc pas applicable. Les stagiaires sont ainsi propriétaires des inventions qu’ils réalisent, peu important que l’invention ait été réalisée au cours de leur stage et sur les instructions de leur maître de stage.
Cass. com., 25 avril 2006 : Un stagiaire au CNRS n’est ni un salarié du CNRS ni un agent public. La propriété de son invention ne relève d’aucune des exceptions limitativement prévues par la loi à l’article L. 611- 7 du Code de la propriété intellectuelle.
Conseil d’Etat, 22 février 2010, Affaire PUECH c/ CNRS : Le stagiaire inventeur n’étant pas salarié puisque non rémunéré, la propriété de son invention relève non pas du régime d’exception des salariés de l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle mais de l’article L. 611-6 du même Code selon lequel l’invention appartient à l’inventeur ou à son ayant- cause.
II – Obligations et droits
1. La mention du nom de l’inventeur
L’inventeur, salarié ou non, doit être mentionné comme tel dans le brevet. Il peut, toutefois, s’opposer à cette mention.
2. Le formalisme et l’obligation de confidentialité
Le salarié auteur d’une invention en informe son employeur qui en accuse réception. Dès lors, ils doivent :
- se communiquer tous renseignements utiles sur l’invention en cause ;
- s’abstenir de toute divulgation de nature à compromettre en tout ou en partie l’exercice des droits conférés.
Par ailleurs, la loi impose un formalisme strict puisque tout accord entre le salarié et son employeur ayant pour objet une invention de salarié doit, à peine de nullité, être constaté par écrit.
De même, toute déclaration ou communication émanant du salarié ou de l’employeur est faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen permettant d’apporter la preuve qu’elle a été reçue par l’autre partie.
Enfin, salarié et employeur doivent s’abstenir de toute divulgation de l’invention tant qu’une divergence subsiste sur son classement ou tant qu’il n’a pas été statué sur celui-ci. Si l’une des parties, pour la conservation de ses droits, dépose une demande de brevet, elle notifie sans délai une copie des pièces du dépôt à l’autre partie.
3. La déclaration d’invention
Le salarié auteur d’une invention en fait immédiatement la déclaration à l’employeur. En cas de pluralité d’inventeurs, une déclaration conjointe peut être faite par tous les inventeurs ou par certains d’entre eux seulement.
La déclaration contient les informations, en la possession du salarié, suffisantes pour permettre à l’employeur d’apprécier le classement de l’invention dans l’une des trois catégories.
Ces informations concernent :
- l’objet de l’invention ainsi que les applications envisagées ;
- les circonstances de sa réalisation, (instructions ou directives reçues, expériences ou travaux de l’entreprise utilisés, collaborations obtenues…) ;
- le classement de l’invention tel qu’il apparaît au salarié.
Lorsque le classement implique l’ouverture, au profit de l’employeur, du droit d’attribution, la déclaration est accompagnée d’une description de l’invention. Cette description expose :
- le problème que s’est posé le salarié compte tenu éventuellement de l’état de la technique antérieure ;
- la solution qu’il lui a apportée ;
- au moins un exemple de la réalisation accompagné éventuellement de dessins.
Si, contrairement au classement de l’invention résultant de la déclaration du salarié, le droit d’attribution de l’employeur est ultérieurement reconnu, le salarié, le cas échéant, complète immédiatement sa déclaration.
Dans un délai de deux mois, l’employeur donne son accord au classement de l’invention résultant de la déclaration du salarié ou, en cas de défaut d’indication du classement, fait part au salarié, par une communication motivée, du classement qu’il retient. Le délai de deux mois court à compter de la date de réception par l’employeur de la déclaration du salarié ou de la date à laquelle la déclaration a été complétée. L’employeur qui ne prend pas parti dans le délai prescrit est présumé avoir accepté le classement résultant de la déclaration du salarié.
Le délai ouvert à l’employeur pour revendiquer le droit d’attribution est de quatre mois. Ce délai court à compter de la date de réception par l’employeur de la déclaration de l’invention ou de la date à laquelle la déclaration a été complétée. La revendication du droit d’attribution s’effectue par l’envoi au salarié d’une communication précisant la nature et l’étendue des droits que l’employeur entend se réserver.
III – Action en revendication
Une personne qui se considère lésée peut revendiquer la propriété de l’invention si un titre de propriété industrielle a été demandé :
- soit pour une invention soustraite à l’inventeur ou à ses ayants cause ;
- soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle.
L’action en revendication se prescrit par trois ans à compter de la publication de la délivrance du titre de propriété industrielle.
IV – La Commission Nationale des Inventions de Salariés
Lorsqu’un un litige porte, entre autres, sur le classement de l’invention, la fixation de la rémunération supplémentaire ou du juste prix, l’une des parties peur saisir la Commission Nationale des Inventions de Salariés (CNIS). Cette commission paritaire de conciliation composée d’employeurs et de salariés est présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire dont la voix est prépondérante en cas de partage. Elle a été créée auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) et les parties peuvent se présenter elles-mêmes et se faire assister ou représenter par une personne de leur choix.Dans les six mois de sa saisine, la Commission formule une proposition de conciliation. Si, dans le mois de sa notification, aucune des parties n’a saisi le Tribunal de Grande Instance (TGI) compétent, la proposition de conciliation vaut accord entre les parties qui peut être rendu exécutoire par ordonnance du président du TGI, saisi sur simple requête de l’une des parties.
Au 31 décembre 2008, la CNIS a fait l’objet de 386 saisines depuis sa création et le montant moyen de la rémunération supplémentaire allouée s’élevait à 6 250€ par invention en 2008.
V – Quelle réforme envisager ?
L’enquête menée par l’Observatoire de la propriété intellectuelle en 2008 a révélé que plus de 33 % des entreprises françaises ne donnaient pas de prime à leurs inventeurs salariés et celles qui le faisaient n’étaient en moyenne pas très généreuses (entre 500 et 12 500 euros).
Le caractère peu incitatif du système en vigueur, notamment car il ne détermine pas le montant de la rémunération du salarié inventeur, est, pour certains, l’une des causes de la faible propension des entreprises françaises à déposer des brevets pour protéger leurs innovations.
Une proposition de loi tendant à réformer le droit des inventions des salariés déposée par le sénateur Richard Yung le 4 juin 2010 visait à améliorer la reconnaissance des inventeurs salariés en créant un dispositif plus lisible pour les entreprises et les salariés. Cette proposition a été finalement abandonnée mais le sénateur Yung a repris certaines de ses dispositions dans un amendement à la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Ce texte, adopté en 1ère lecture par l’Assemblée nationale le 2 décembre 2009, est en cours d’examen au Sénat.
La réécriture de l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle proposée ne distinguerait plus que deux catégories d’invention : les inventions de service et les inventions hors service.
Les inventions de service appartiendraient à l’employeur et seraient celles faites par le salarié :
- soit dans l’exécution d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives ;
- soit dans l’exécution d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées ;
- soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions ;
- soit dans le domaine des activités de l’entreprise ;
- soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle.
Les divergences actuelles reposent essentiellement sur la fixation ou non par la loi du montant de la « juste rémunération supplémentaire » due au salarié pour les inventions de service. Les arguments soulevés contre cette mesure sont divers : entrave à la liberté contractuelle des parties au contrat de travail, confusion entre « rémunération supplémentaire » et « juste prix »…