Dans une décision du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel vient de juger que les victimes d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de leur employeur devaient être indemnisées intégralement de leurs préjudices.
Pour mémoire, le Code de la Sécurité sociale définit l’accident du travail comme un accident survenu, quelle qu’en soit la cause, par le fait ou à l’occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
Le régime d’indemnisation existant
Actuellement, la loi prévoit un régime particulier pour les victimes d’un accident du travail. Elles ont le droit à une prise en charge de leurs frais de santé par leur organisme de Sécurité sociale, ainsi qu’une rente accident du travail calculée en fonction de leur incapacité physique. Il s’agit d’un régime d’indemnisation forfaitaire.
Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de leur employeur, le Code de la Sécurité sociale prévoit une indemnisation complémentaire1. Les victimes peuvent ainsi solliciter les indemnités suivantes :
majoration de leur rente (automatique quand la faute inexcusable est reconnue) ;
perte de chance de promotion professionnelle (notamment en cas de perspectives d’évolution dans l’emploi occupé) ;
préjudice d’agrément (perte de loisirs, préjudice sexuel2 à savoir perte de libido ou perte des fonctions de reproduction) ;
souffrances endurées (préjudice moral et physique lors de la convalescence) ;
préjudice esthétique (cicatrices, boiteries, déplacement en fauteuil roulant…) ;
Cette liste est considérée comme limitative.
La problématique soulevée par les salariés était que ce système d’indemnisation leur était préjudiciable puisqu’il ne permettait pas d’obtenir une indemnisation intégrale. En effet, des victimes d’un accident de la circulation ou d’une agression pouvaient solliciter une meilleure prise en charge que les victimes d’un accident du travail.
Des postes de préjudices importants en pratique n’étaient pas pris en compte par la législation sur les accidents du travail, comme l’assistance par une tierce personne (primordiale en présence d’une paraplégie par exemple) ou les frais d’aménagement du domicile ou ceux de la voiture. Les victimes d’un accident du travail revendiquaient donc l’existence d’une inégalité de traitement selon l’origine du dommage (accident de la circulation, agression, accident du travail, responsabilité médicale…) et le non-respect du principe de réparation intégrale.
L’intervention du Conseil constitutionnel
Les victimes ont ainsi utilisé la nouvelle procédure instaurée par la loi du 10 décembre 2009 : la question prioritaire de constitutionnalité. Depuis le 1er mars 2010, tout citoyen peut soulever l’inconstitutionnalité d’une disposition législative à l’occasion d’un litige devant le tribunal. C’est dans ces circonstances que le Conseil constitutionnel a rendu le 18 juin 20103 une décision concernant, notamment, la constitutionnalité de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.
Il a considéré que la législation prévue au Code de la Sécurité sociale était conforme à la Constitution mais a émis une réserve d’interprétation : « En présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale ».
En d’autres termes, le salarié peut désormais demander réparation des préjudices qui ne sont pas prévus par la liste de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.
La loi n’est donc pas abrogée car elle est considérée comme conforme à la Constitution, mais elle doit être appliquée en fonction de la décision du Conseil constitutionnel. Cette interprétation est d’application immédiate, soit depuis le 19 juin 2010, date de la publication de la décision au Journal officiel. Les salariés pourront l’invoquer dans toutes les procédures en cours et celles à venir.
Des répercussions encore inconnues
Cette décision étant récente, ses conséquences précises ne peuvent encore être évaluées. Mais il est certain que les sommes allouées par les Tribunaux des affaires de la Sécurité sociale seront plus importantes puisque couvriront l’intégralité des préjudices du salarié.
Petit exemple :
Pour une victime paraplégique, l’assistance par une tierce personne à raison de 15 heures quotidiennes peut être indemnisée à hauteur de 85 000 € par an.
Il est vrai que la CPAM a pour rôle d’avancer, dans un premier temps, pour le compte de l’employeur les condamnations ordonnées par le tribunal. Ce n’est que dans un second temps que l’employeur ressentira les répercussions de cette hausse par le biais des primes d’assurance (tous les contrats seront très vraisemblablement à renégocier car les risques modifiés) et d’une augmentation des cotisations de son compte employeur auprès de la CPAM.
Il faut, en définitive, attendre les premières décisions des tribunaux pour bénéficier d’une meilleure vision des changements pratiques engendrés par la décision du Conseil constitutionnel mais ils seront sans aucun doute conséquents.
Affaire à suivre !