La légalité de deux dispositifs centraux de notre réglementation du temps de travail est aujourd’hui vivement discutée : le forfait-jours et la journée de solidarité.
Dans le premier cas, la fronde est venue du droit européen. A la demande de deux organisations syndicales, la CGT et la CFE-CGC, le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a examiné la régularité de notre forfait annuel en jours au regard de l’article 2 de la Charte sociale européenne révisée. Celui-ci dispose, en effet, que les parties à la convention – dont la France – s’engagent « à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ».
Partant, les conclusions du CEDS, arrêtées au printemps 2010 mais publiées qu’en janvier 2011, sont sans appel. La réglementation française limitant la durée du travail des salariés relevant du forfait-jours à 78 heures hebdomadaires viole la Charte révisée. N’est pas en cause la durée effective du travail des salariés concernés qu’il est, par définition, impossible de mesurer, mais leur durée de travail potentielle, laquelle se déduit des temps de repos imposés par le Code du travail, à savoir 11 heures par jour et un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures.
Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur l’avenir du forfait-jours. Les décisions du CEDS n’ont certes pas l’autorité leur permettant d’exiger des Etats membres une modification de leur législation. Pour autant, les juridictions françaises pourraient être conduites à vérifier la conventionalité de la loi s’il devait être admis que la Charte sociale européenne révisée est directement invocable par les justiciables ; possibilité que le Conseil d’Etat semble pour l’heure écarter (CE, 2 octobre 2009, n° 301014). En d’autres termes, dans l’affirmative, un salarié pourrait demander au conseil des prud’hommes de déclarer la non conformité de la loi au regard du droit européen.
Ceci explique que la Cour de cassation s’interroge sur l’opportunité de trancher cette question dans les toutes prochaines semaines. Si elle n’est pas, pour le moment, directement saisie sur ce point, elle pourrait profiter d’une affaire la questionnant sur le temps de travail d’un cadre pour faire connaitre sa position dès début juillet. On voit mal, alors, comment les magistrats de la Chambre sociale pourraient aller à l’encontre des décisions du CEDS. Dans cette hypothèse, les conséquences seront considérables.
D’un point de vue organisationnel d’abord, la remise en cause du forfait-jours conduira les entreprises à réviser leur mode de fonctionnement puisque contraintes désormais à contrôler le temps de travail de tous leurs salariés, y compris leurs cadres. Ces derniers ne seront pas les moins pénalisés, qui ne pourront plus profiter de la souplesse que leur accordait le forfait-jours dans la gestion de leur emploi du temps.
D’un point de vue juridique et financier ensuite, l’inconventionnalité du forfait-jours autorisera chaque salarié concerné à demander un rappel de salaire pour heures supplémentaires – en partie exonérées de charges sociales et défiscalisées, ce qui rajoute à l’imbroglio – et ce … sur les cinq dernières années, avec un régime de preuve allégé ! L’invalidation du forfait-jours mènera également à renégocier l’ensemble des accords de branche et d’entreprise organisant sa mise en œuvre ainsi que toutes les conventions individuelles de forfait qui en découlent. A l’heure où la simplification de l’environnement réglementaire des entreprises fait les gros titres, la situation à quelque chose de tragi-comique…
Second dispositif au cœur de la tourmente : la journée de solidarité. Chaque année, ce jour de travail supplémentaire non rémunéré fait parler de lui, particulièrement autour du lundi de Pentecôte initialement désigné comme victime expiatoire de notre individualisme. Si, comme à l’accoutumée, 2011 n’échappe pas aux critiques récurrentes (coût de la mesure, désorganisation de l’activité de l’entreprise, variabilité de la règle applicable..), un nouveau reproche s’est fait jour qui pourrait remettre en cause la règle dans son principe.
En effet, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel, le 24 mai 2011, une question prioritaire de constitutionnalité. Les juges du quai de l’horloge demandent à ceux de la rue Montpensier de dire si les dispositions de la loi du 30 juin 2004 portent atteinte aux principes d’égalité des citoyens devant la loi et devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Est ainsi pointé du doigt le fait que les retraités mais aussi certains travailleurs – professions libérales, artisans, agriculteurs notamment – ne participent pas à cet effort national.
Si le Conseil constitutionnel devait invalider le dispositif, là encore les conséquences seraient préjudiciables pour les entreprises puisque chaque salarié serait recevable à réclamer le paiement de cette journée pour les cinq dernières années. On imagine alors aisément qu’elles n’hésiteraient pas à demander à l’Etat le remboursement de la contribution de solidarité autonomie qu’elles ont versée en contrepartie du travail « gratuit » de leurs salariés.
Le Conseil constitutionnel ayant trois mois pour se prononcer, on comprend que l’actualité sociale de l’été 2011 risque d’être mouvementée.